Le Donneur de Mauvais Conseils

Par les chemins bordés de pueils

Rôde en maraude

Le donneur de mauvais conseils.
La vieille carriole aux tons groseille

Qui l’emmena, on ne sait d’où,

Une folle la garde et la surveille,

Au carrefour des chemins mous.

Le cheval paît l’herbe d’automne,

Près d’une mare monotone,

Dont l’eau livide réverbère

Le ciel de pluie et de misère

Qui tombe en loques sur la terre.
Le donneur de mauvais conseils

Est attendu dans le village,

A l’heure où tombe le soleil.
Il est le visiteur oblique et louche

Qui, de ferme en ferme, s’abouche,

Quand la détresse et la ruine

Se rabattent sur les chaumines.

Il est celui qui frappe à l’huis,

Tenacement, et vient s’asseoir

Lorsque le hâve désespoir

Fixe ses regards droits

Sur le feu mort des âtres froids.
Il vaticine et il marmonne,

Toujours ardent et monotone,

Prenant à part chacun de ceux

Dont les arpents sont cancéreux

Et les épargnes infécondes

Et les poussant à tout quitter,

Pour un peu d’or qu’ils entendent tinter

En des villes, là-bas, au bout du monde.
A qui, devant sa lampe éteinte,

Seul avec soi, quand minuit tinte,

S’en va tâtant aux murs de sa chaumière

Les trous qu’y font les vers de la misère,

Sans qu’un secours ne lui vienne jamais,

Il conseille d’aller, au fond de l’eau,

Mordre soudain les exsangues reflets

De sa face dans un marais.
Il pousse au mal la fille ardente,

Avec du crime au bout des doigts,

Avec des yeux comme la poix

Et des regards qui violentent.

Il attise en son coeur le vice

A mots cuisants et rouges,

Pour qu’en elle la femelle et la gouge

Biffent la mère et la nourrice

Et que sa chair soit aux amants,

Morte, comme ossements et pierres,

Au cimetière.
Aux vieux couples qui font l’usure

Depuis que les malheurs ravagent

Les villages, à coups de rage,

Il vend les moyens sûrs

Et la ténacité qui réussit toujours

A ruiner hameaux et bourgs,

Quand, avec l’or tapi au creux

De l’armoire crasseuse ou de l’alcôve immonde,

On s’imagine, en un logis lépreux,

Etre le roi qui tient le monde.
Enfin, il est le conseiller de ceux

Qui profanent la nuit des saints dimanches

En boutant l’incendie à leurs granges de planches.

Il indique l’heure précise

Où le tocsin sommeille aux tours d’église,

Où seul avec ses yeux insoucieux,

Le silence regarde faire.

Ses gestes secs et entêtés

Numérotent ses volontés,

Et l’ombre de ses doigts semble ligner d’entailles

Le crépi blanc de la muraille.
Et pour conclure il verse à tous

Un peu du fiel de son vieux coeur

Pourri de haine et de rancoeur ;

Et désigne le rendez-vous,

- Quand ils voudront – au coin des bordes,

Où, près de l’arbre, ils trouveront

Pour se brancher un bout de corde.
Ainsi va-t-il de ferme en ferme ;

Plus volontiers, lorsque le terme

Au bahut vide inscrit sa date,

Le corps craquant comme des lattes,

Le cou maigre, le pas traînant,

Mais inusable et permanent,

Avec sa pauvre carriole,

Avec sa bête, avec sa folle,

Qui l’attendent, jusqu’au matin,

Au carrefour des vieux chemins.

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Le Donneur de Mauvais Conseils
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