I

Quand, dans ses haltes indécises,

Le genre humain, tout effaré,

Ebranlait les vastes assises

Du monde mal équilibré ;
Étouffant les vieilles doctrines,

Quand le ferment des jours nouveaux

Montait dans toutes les poitrines,

Et germait dans tous les cerveaux ;
Quand l’homme, clignant la paupière

Devant chaque rayon qui luit,

De son crâne frappait la pierre

Qui toujours retombait sur lui ;
Quand le siècle, dans son délire.

Passant la main sur son front nu,

Désespéré, tâchait de lire

Le problème de l’Inconnu ;
Quand, sentant sa décrépitude.

Enfin, l’univers aux abois

De l’éternelle servitude

Songeait à secouer le poids ;
Sous ta baguette qui féconde,

Colomb, puissant magicien,

Tu fis surgir le nouveau monde

Pour rajeunir le monde ancien.
Oui, l’humanité vers l’abîme

Marchait dans l’ombre en chancelant,

Lorsque, de ton geste sublime,

Tu l’arrêtas dans son élan.
Tu lui montrais, comme Moïse,

Au bout de ton doigt souverain,

La moderne terre promise :

Un univers vierge et serein !
Hémisphère aux rives sauvages,

Étalant, comme l’Hélicon,

Libre des antiques servages,

Sous l’œil des deux son flanc fécond.
Oui, toute une moitié du globe

Dénouant, spectacle inouï,

Les plis flamboyants de sa robe

Aux veux du vieux monde ébloui !
Quel moment ! quelle phase immense !

Ce pas, marqué par Jéhova,

C’est tout un passé qui s’en va,

Tout un avenir qui commence !
II
Amérique ! — salut à toi, beau sol natal !

Toi, la reine et l’orgueil du ciel occidental !

Toi qui, comme Vénus, montas du sein de l’onde,

Et du poids de ta conque équilibras le monde !
Quand, le front couronné de tes arbres géants,

Vierge, tu secouais au bord des océans,

Ton voile aux plis baignés de lueurs diaphanes ;

Quand drapés dans leurs flots de flottantes lianes.

Tes grands bois ténébreux, tout pleins d’oiseaux chanteurs

Imprégnèrent les vents de leurs acres senteurs ;

Quand ton mouvant réseau d’aurores boréales

Révéla les splendeurs de tes nuits idéales ;

Quand tes fleuves sans fin, tes monts aux tiers sommets,

Si sauvages jadis et si beaux désormais,

Déployèrent au loin leurs grandeurs infinies.
Niagaras grondants ! blondes Californies !

Amérique ! au contact de ta jeune beauté,

Ou sentit reverdir la vieille humanité !

Car ce ne fut pas tant vers des rives nouvelles

Que l’austère Colomb guida ses caravelles,

Que vers un port tranquille où tout le genre humain

Avec fraternité pût se donner la main ;

Un port où chacun pût, sans remords et sans crainte,

Vivre libre, au soleil de la liberté sainte !
C’est ce port idéal que Colomb a trouvé.

Mais qui croira jamais que Colomb ait rêvé

Les bienfaits inouïs dont il dotait notre ère ?

Ah non ! même en luttant contre le sort contraire,

Raillé par l’ignorance, eu butte au préjugé.

Rebuté mille fois, jamais découragé,

Ce Génois immortel ou ce Corse sublime

Entrevoyait à peine une lueur infime

— Quand à San Salvador il pliait les genoux —

Du radieux soleil qu’il allumait pour nous.
Le héros, qui rêvait d’enrichir un royaume,

De l’immense avenir ne vit que le fantôme.

Sans doute il savait bien qu’un éternel fleuron

Dans les âges futurs brillerait à son front ;

Que l’univers entier saluerait son génie ;

Mais Colomb, en cherchant la moderne Ausonie,

Ne fut — le fier chrétien en fit souvent l’aveu —

Qu’un instrument passif entre les mains de Dieu.

Et, quand il ne croyait que suivre son étoile,

La grande main dans l’ombre orientait sa voile !

III
Oh ! qu’ils sont loin ces jours où le globe étonné

Écoutait, recueilli, d’un monde nouveau-né

L’hymne d’amour puissant et calme.

Et voyait, au-dessus de l’abîme béant,

L’Amérique à l’Europe, à travers l’Océan,

Des temps nouveaux tendre la palme !
Que de grands buts atteints, d’horizons élargis,

De chemins parcourus, depuis que tu surgis,

Terre radieuse et féconde,

Au bout des vastes mers comme un soleil levant,

Et que ton aile immense, ouverte dans le vent,

Doubla l’envergure du monde !
Qu’il est beau de te voir, en ta virilité,

Aux antiques abus offrir la liberté

Pour contrepoids et pour remède.

Et, vers tous les progrès les bras toujours ouverts,

Tout entière au travail, remuer l’univers

Avec ce levier d’Archimède !
Amérique, en avant ! prodigue le laurier

Au courage, au génie, à tout mâle ouvrier

De l’œuvre civilisatrice.

Point de gloire pour toi née au bruit du canon !

Ce qu’il te faut un jour, c’est le noble surnom

De grande régénératrice !
Tous les peuples alors t’appelleront : Ma sœur !

Et tu les sauveras ! car déjà le penseur

Voit en toi l’ardente fournaise

Où bouillonne le flot qui doit tout assainir.

L’auguste et saint creuset où du saint avenir

S’élabore l’âpre genèse !

Évaluations et critiques :

L’Amérique
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.singularReviewCountLabel }}
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.pluralReviewCountLabel }}
{{ options.labels.newReviewButton }}
{{ userData.canReview.message }}

Partagez votre poésie avec le monde! Quelle est votre opinion sur ce poème?

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x