Cruelle, à quel propos prolonges-tu ma peine ?

Cruelle, à quel propos prolonges-tu ma peine?

Qui t’a sollicitée à renouer ma chaîne?

Quel démon ennemi de mes contentements

Me vient remettre encore en tes enchantements?

Mon mal allait finir, et déjà ma pensée

Ne gardait plus de toi qu’une image effacée,

Ma fièvre n’avait plus que ce frisson léger

Qui du dernier accès achève le danger:

Encore un jour ou deux de ton ingratitude.

Et j’allais pour jamais sortir de ma servitude.

Ce n’était plus l’Amour qui guidait mon désir:

Il m’avait achevé sa peine et son plaisir.

Je songeais aux douceurs que ce printemps présente,

Mes yeux trouvaient déjà la campagne plaisante,

Nous avions fait dessein, mon cher Damon et moi,

D’être absents quelques jours de Paris et de toi

Pour faire évanouir les restes de la flamme

Qui si subitement ont rallumé mon âme.

Tout du premier objet ses charmes inhumains

Ont reblessé mon cœur et rattaché mes mains:

Il n’a fallu qu’un mot de cette voix traîtresse,

Que voir encore un coup les yeux de ma maîtresse.

Au moins s’il se pouvait qu’un désir mutuel

Nous eût liés tous deux d’un joug perpétuel,

Que jamais son caprice et jamais ma colère

N’altérât en nos cœurs le souci de nous plaire,

Jamais de nos plaisirs n’interrompît le cours,

Je serais bien heureux de l’adorer toujours.

Lorsqu’à l’extrémité ma passion pressée

Se voit de ton accueil tant soit peu caressée,

Et que ta complaisance, ou d’aise ou de pitié,

Ne laisse pas longtemps languir mon amitié,

Je sens dans mes esprits se répandre une joie

Qui passe tous les biens que la fortune envoie.

Si Dieu me faisait roi je serais moins content,

L’empire du Soleil ne me plairait pas tant,

Au sortir des plaisirs que ta beauté me donne

Je foulerais aux pieds l’éclat d’une couronne,

Et dans les vanités où tu me viens ravir

Je tiendrais glorieux un roi de me servir.

Sans toi pour m’enrichir nature est infertile,

Et pour me réjouir Paris même inutile;

Toi seule es le trésor et l’objet précieux

Où veillent sans repos mon esprit et mes yeux,

Et selon que ton oeil me rebute ou me flatte,

Dans le mien ou la joie ou la douleur éclate.

Quand mes désirs pressés du feu qui les poursuit,

Cherchent dans tes faveurs une amoureuse nuit,

Si peu que ton humeur refuse à mon envie,

Tu fais pis mille fois que m’arracher la vie.

Souviens-toi, je te prie, à quel point de douleur

Me fit venir l’excès de mon dernier malheur,

Combien que mon respect avecque des contraintes

Se voulut efforcer de retenir mes plaintes;

Tu sais dans quels tourments j’attendis le Soleil,

Et par quels accidents je rompis ton sommeil.

Penché dessus les bords d’un gouffre inévitable,

Tu me vis supporter un mal insupportable,

Un mal où mon destin te faisait consentir

Quoiqu’il t’en préparât un peu de repentir.

Dans le ressentiment de ce cruel outrage

Ma raison par dépit éveilla mon courage.

Je fis lors un dessein de séparer de moi

Cette part de mon cœur qui vit avecque toi,

De ne songer jamais à retrouver la trace

Par où déjà souvent j’avais cherché ta grâce.

Damon était toujours auprès de mon esprit

Pour l’assister au cas que son mal le reprît.

Je rappelais déjà le jeu, la bonne chère,

Ma douleur tous les jours devenait plus légère,

Je dormis la moitié de la seconde nuit,

L’absence travaillait avec beaucoup de fruit;

Déjà d’autres beautés avec assez de charmes

Divertissaient ma peine et tarissaient mes larmes,

Leur naturel facile à mon affection

Avait mis ton esclave à leur dévotion,

Et comme une amitié par une autre s’efface,

Chez moi d’autres objets avaient gagné ta place,

Lorsque ta repentance ou plutôt ton orgueil,

Irrité que mes maux étaient dans le cercueil,

Me ramena tes yeux qui chez moi retrouvèrent

La même intelligence alors qu’ils arrivèrent.

Tes regards n’eurent pas examiné les miens

Que je me retrouvai dans mes premiers liens;

Ma raison se dédit, mes sens à ton entrée

Sentent qu’un nouveau mal les blesse et les recrée,

Et du même moment qu’ils ont connu leurs fers

Ils n’ont pu s’empêcher qu’ils ne s’y soient offerts.

Caliste, s’il est vrai que ton cœur soit sensible

Au feu qui me consume et qui t’est bien visible,

S’il est vrai que tes yeux lorsqu’ils me vont blesser

Ont de la confidence avecque ton penser,

Que ma possession te donne un peu de gloire,

Que jamais mon objet ait flatté ta mémoire,

Ainsi que tes regards, ta voix et ton beau teint

Ont leur portrait fidèle en mon cœur bien empreint,

Considère souvent quel plaisir, quelle peine,

Me fait, comme tu veux, ton amour ou ta haine.

Pardonne à ma fureur une importunité

Qu’elle ne te fait point avec impunité,

Car je veux que le ciel m’accable du tonnerre

Si toujours ma raison ne lui fait point la guerre,

Et je crois que le temps m’assistera si bien

Qu’enfin j’accorderai ton désir et le mien.

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