Le Carnaval s’amuse!

Viens le chanter, ma Muse,

En suivant au hasard

Le bon Ronsard !
Et d’abord, sur ta nuque,

En dépit de l’eunuque,

Fais flotter tes cheveux

Libres de noeuds !
Chante ton dithyrambe

En laissant voir ta jambe

Et ton sein arrosé

D’un feu rosé.
Laisse même, ô Déesse,

Avec ta blonde tresse,

Le maillot des Keller

Voler en l’air !
Puisque je congédie

Les vers de tragédie,

Laisse le décorum

Du blanc peplum,
La tunique et les voiles

Semés d’un ciel d’étoiles,

Et les manteaux épars

A Saint-Ybars !
Que ses vierges plaintives,

Catholiques ou juives,

Tiennent des sanhédrins

D’alexandrins !
Mais toi, sans autre insigne

Que la feuille de vigne

Et les souples accords

De ton beau corps,
Laisse ton sein de neige

Chanter tout le solfège

De ses accords pourprés,

Mieux que Duprez !
Ou bien, mon adorée,

Prends la veste dorée

Et le soulier verni

De Gavarni !
Mets ta ceinture, et plaque

Sur le velours d’un claque

Les rubans querelleurs

Jonchés de fleurs !
Fais, sur plus de richesses

Que n’en ont les duchesses,

Coller jusqu’au talon

Le pantalon !
Dans tes lèvres écloses

Mets les cris et les poses

Et les folles ardeurs

Des débardeurs !
Puis, sans peur ni réserve,

Réchauffant de ta verve

Le mollet engourdi

De Brididi ,
Sur tes pas fiers et souples

Traînant cent mille couples,

Montre-leur jusqu’où va

La redowa,
Et dans le bal féerique,

Hurle un rhythme lyrique

Dont tu feras cadeau

A Pilodo !
Tapez, pierrots et masques,

Sur vos tambours de basques!

Faites de vos grelots

Chanter les flots !
Formidables orgies,

Suivez sous les bougies

Les sax aux voix de fer

Jusqu’en enfer !
Sous le gaz de Labeaume,

Hurrah! suivez le heaume

Et la cuirasse d’or

De Mogador !
Et madame Panache,

Dont le front se harnache

De douze ou quinze bouts

De marabouts !
Au son de la musette

Suivez Ange et Frisette,

Et ce joli poupon,

Rose Pompon !
Et Blanche aux belles formes,

Dont les cheveux énormes

Ont été peints, je crois,

Par Delacroix !
De même que la Loire

Se promène avec gloire

Dans son grand corridor

D’argent et d’or,
Sa chevelure rousse

Coule, orgueilleuse et douce ;

Elle épouvanterait

Une forêt.
Chantez, Musique et Danse!

Que le doux vin de France

Tombe dans le cristal

Oriental !
Pas de pudeur bégueule!

Amis! la France seule

Est l’aimable et divin

Pays du vin !
Laissons à l’Angleterre

Ses brouillards et sa bière!

Laissons-la dans le gin

Boire le spleen !
Que la pâle Ophélie,

En sa mélancolie,

Cueille dans les roseaux

Les fleurs des eaux !
Que, sensitive humaine,

Desdémone promène

Sous le saule pleureur

Sa triste erreur !
Qu’Hamlet, terrible et sombre

Sous les plaintes de l’ombre,

Dise, accablé de maux:

 » Des mots ! des mots !  »
Mais nous, dans la patrie

De la galanterie,

Gardons les folles moeurs

Des gais rimeurs !
Fronts couronnés de lierre,

Gardons l’or de Molière,

Sans prendre le billon

De Crébillon !
C’est dans notre campagne

Que le pâle champagne

Sur les coteaux d’Aï

Mousse ébloui !
C’est sur nos tapis d’herbe

Que le soleil superbe

Pourpre, frais et brûlants,

Nos vins sanglants !
C’est chez nous que l’on aime

Les verres de Bohême

Qu’emplit d’or et de feu

Le sang d’un Dieu !
Donc, ô lèvres vermeilles,

Buvez à pleines treilles

Sur ces coteaux penchants,

Pères des chants !
Poésie et Musique,

Chantez l’amour physique

Et les coeurs embrasés

Par les baisers !
Chantons ces jeunes femmes

Dont les épithalames

Attirent vers Paris

Tous les esprits !
Chantons leur air bravache

Et leur corset sans tache

Dont le souple basin

Moule un beau sein ;
Leur col qui se chiffonne

Sur leur robe de nonne,

Leurs doigts collés aux gants

Extravagants ;
Leur chapeau dont la grâce

Pour toujours embarrasse,

Avec son air malin,

Vienne et Berlin ;
Leurs peignoirs de barège

Et leurs jupes de neige

Plus blanches que les lys

D’Amaryllis ;
Leurs épaules glacées,

Leurs bottines lacées

Et leurs jupons tremblants

Sur leurs bas blancs !
Chantons leur courtoisie !

Car ni l’Andalousie,

Ni Venise, les yeux

Dans ses flots bleus,
Ni la belle Florence

Où, dans sa transparence,

L’Arno prend les reflets

De cent palais,
Ni l’odorante Asie,

Qui, dans sa fantaisie,

Tient d’un doigt effilé

Le narghilé,
Ni l’Allemagne blonde

Qui, sur le bord de l’onde,

Ceint des vignes du Rhin

Son front serein,
N’ont dans leurs rêveries

Vu ces lèvres fleuries,

Ces croupes de coursier,

Ces bras d’acier,
Ces dents de bête fauve,

Ces bras faits pour l’alcôve,

Ces grands ongles couleur

De rose en fleur,
Et ces amours de race

Qu’Anacréon, Horace

Et Marot enchantés,

Eussent chantés !
Janvier 1846.

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