Quand la Divinité, qui formait ton essence…

Quand la Divinité, qui formait ton essence,

Vit arriver le temps au point de ta naissance,

Elle choisit au ciel son plus heureux flambeau

Et mit dans un beau corps un esprit assez beau.

La trempe que tu pris en arrivant au monde

Etait du feu, de l’air, de la terre et de l’onde:

Immortels éléments dont les corps si divers

Etrangement mêlés font un seul univers,

Et durent, enchaînés par les liens des âmes,

Selon que le destin a mesuré nos trames.

Triste condition que le sort plus humain

Ne nous peut assurer d’être demain!

Ainsi te mit nature au cours de la fortune

Aussi sujet que tous à cette loi commune.

D’un naturel fragile et qui se vient ranger

A quel point que l’humeur le force de changer:

Impatient, tardif, injurieux, affable,

Dépiteux, complaisant, malicieux, aimable,

Serf de tes passions et du commun souci,

Des vices des mortels et des vertus aussi.

N’attends point qu’en ton nom honteusement j’écrive

Ce qui ne fut jamais sur la troyenne rive,

Que je t’appelle Achille et que tu sois vanté

Par tant de faux exploits qu’on a jadis chanté.

Ces poètes rêveurs par leurs plume hypocrite

De tous ces vieux héros ont trompé le mérite,

Et sans aucune foi laissant mille témoins,

Ils nous en disent plus, mais en font croire moins:

Car au rapport trompeur d’un demi-dieu qu’on nomme,

Je douterai s’il fut tant seulement un homme.

Mon esprit plein d’amour et plein de liberté,

Sans fard et sans respect t’écrit la vérité;

Et sans aucun dessein d’offenser ou de plaire,

Je fais ce que mon sens me conseille de faire.

J’écrirais le démon qui du train de tes jours

Si difficilement guidait le jeune cours,

Et l’astre dont tu vis la haine si puissante

Opposer tant d’effort à ta vertu naissante;

J’écrirais ton destin avant le doux moment

Que pour te faire serf le Ciel te fit amant.

Mais notre jeune temps laisse aussi peu de marque

Que le vol d’un oiseau ou celui d’une barque;

Et les traits de ses ans confusément passés

Pèsent au souvenir s’ils n’en sont effacés.

Laissant ces jours perdus jusqu’aux premières forces

Que l’amour vient tenter de ses douces amorces,

Mes vers ne discourront que depuis le bon jour

Que tu te vins ranger à l’empire d’amour.

Et suivant ta fureur, tu penseras peut-être

Que dès lors seulement tu commenças à naître,

Que tu ne fus vivant, ni d’esprit, ni de corps,

Que depuis qu’un bel oeil te donna mille morts.

Les aimables attraits, dont les yeux d’une dame

Firent naître l’ardeur de ta première flamme,

Furent bientôt vainqueurs, et l’amour qui le prit

Au lieu de te déplaire obligea ton esprit.

Ton naturel ployable à la première atteinte

Soupira son tourment d’une si douce plainte,

Et si modestement permit d’être arrêté,

Qu’il sembla que tes fers étaient ta liberté.

Tant le sort de ta vie autrement malheureuse

Se trouve pour ton bien de nature amoureuse.

En ce destin les maux que le Ciel a versés

Dans l’erreur de tes jours sans cesse traversés,

Ont trouvé leur remède, et n’est peine si forte

Que par lui ton esprit légèrement ne porte.

Quand le poison d’amour t’eut une fois charmé,

Contre tout autre effort tu fus assez armé.

Toute autre passion au prix mousse et légère

Depuis ne fut en toi que faible et passagère.

Depuis, pour vivre esclave au joug d’une beauté,

Ton âme ne fut plus qu’amour, que loyauté.

Celle qui gouvernait ta captive pensée

Dissimulait le coup dont elle fut blessée:

La honte et le devoir et ce fâcheux honneur,

Ennemis conjurés de tout notre bonheur,

De contraintes froideurs désespéraient son âme;

Quand ton objet pressant sollicitait sa flamme,

En ses regards forcés son amour paraissait,

Et par la résistance heureusement croissait.

Tes yeux, dont la fureur avait changé l’usage,

Languissaient étonnés auprès de son visage:

Son visage et le tien plus blanc, frais et vermeil

Que le teint de l’Aurore et le front du Soleil.

Elle était à tes yeux plus agréable encore

Que devant le Soleil ne fut jamais l’Aurore.

Votre objet en son sexe également pouvait

Se dire le plus beau que la nature avait,

Et les traits de ta face, aujourd’hui que l’injure

Du temps qui change tout a changé ta figure,

Uniquement parfaits, sont punis d’un amour

A qui mille beautés font encore la cour.

Quelle dut être alors, et combien plus prisée,

Ta face, que le poil n’avait point déguisée,

En sa jeune vigueur, conforme au jeune objet

De la première belle à qui tu fus sujet!

Tu méritais beaucoup, et si l’Amour avare

Eût frustré ton espoir il eût été barbare,

Indigne que jamais à son sacré brasier

Aucun amant portât le myrte et le rosier.

Mais ce Dieu, pour t’ôter tout sujet de te plaindre,

L’a voulu avec toi de mêmes nœuds étreindre:

De mutuelle ardeur son esprit enflamma,

Et rangea ton amour au point qu’elle t’aima.

D’un semblable désir vous tâchiez à vous plaire:

Ce que l’un desseignait, l’autre le voulait faire;

Vous lisiez dans vos fronts ce que vos cœurs disaient;

Et de mêmes propos vos âmes devisaient.

Alors qu’impatient en flamme excessive

Tu blâmais le refus de son amour craintive,

Son cœur plus que le tien de martyre souffrait,

Te refusant du corps ce que l’âme t’offrait.

Ta qualité de marque, aucunement étrange

A son sang populaire et tiré de la fange,

Niait à son espoir les bienheureux accords

Qui joignent sous l’hymen deux esprits et deux corps.

Et ce titre d’époux, honteux aux âmes fortes,

Que par dépit du Ciel et de l’Amour tu portes,

Duisait mal à ton âge, et pour vous allier

Il eût fallu la terre au ciel apparier.

Quelquefois en riant tu m’as conté la fête

Que pour votre noçage l’on pensait toute prête

Lorsque sa parenté ridicule espérait

Qu’un accord entre vous ferme demeurerait.

Elle qui seulement d’amour fut insensée,

Ne s’entretint jamais de si folle pensée;

Mais contre le destin avec toi se plaignait

Qu’à vos désirs égaux le rang ne se joignait.

Il est vrai qu’en l’effort de cette rage extrême,

Tu pouvais oublier et ta race et toi-même.

Et l’amant qui troublé de tel empêchement

Se détourne d’aimer, aime trop lâchement.

Mais tu savais qu’amour meurt en la jouissance,

Qu’il nous travaille plus moins il a de licence,

Qu’en des baisers permis cette vertu s’endort,

Et que le lit d’hymen est le lit de sa mort.

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