Au roi sur son exil

Ode
Celui qui lance le tonnerre,

Qui gouverne les éléments,

Et meut avec des tremblements

La grande masse de la terre,

Dieu qui vous mit le sceptre en main,

Qui vous le peut ôter demain,

Lui qui vous prête sa lumière,

Et qui, malgré les fleurs de lys,

Un jour fera de la poussière

De vos membres ensevelis ;
Ce grand Dieu qui fit les abîmes

Dans le centre de l’univers,

Et les tient toujours ouverts

A la punition des crimes,

Veut aussi que les innocents,

A l’ombre de ses bras puissants,

Trouvent un assuré refuge,

Et ne sera point irrité

Que vous tarissiez le déluge

Des maux où vous m’avez jeté.
Eloigné des bords de la Seine

Et du doux climat de la Cour,

Il me semble que l’oeil du jour

Ne me luit plus qu’avecque peine :

Sur le faîte affreux d’un rocher,

D’où les ours n’osent approcher,

Je consulte avec des Furies,

Qui ne font que solliciter

Mes importunes rêveries

A me faire précipiter.
Aujourd’hui, parmi des sauvages,

Où je ne trouve à qui parler,

Ma triste voix se perd en l’air,

Et dedans l’écho des rivages ;

Au lieu des pompes de Paris,

Où le peuple avecque des cris

Bénit le Roi parmi les rues,

Ici les accents des corbeaux

Et les foudres dedans les nues

Ne me parlent que de tombeaux.
J’ai choisi loin de votre empire

Un vieux désert où des serpents

Boivent les pleurs que je répands

Et soufflent l’air que je respire.

Dans l’effroi de mes longs ennuis,

Je cherche, insensé que je suis,

Une lionne en sa colère,

Qui me déchirant par morceaux

Laisse mon sang et ma misère

En la bouche des lionceaux.
Justes cieux, qui voyez l’outrage

Que je souffre peu justement,

Donnez à mon ressentiment

Moins de mal ou plus de courage.

Dedans ce lamentable lieu,

Fors que de soupirer à Dieu,

Je n’ai rien qui me divertisse.

Job, qui fut tant homme de bien,

Accusa le Ciel d’injustice

Pour un moindre mal que le mien.
Vous, grand Roi si sage et si juste

Qu’on ne voit point de roi pareil,

Suivrez-vous le même conseil

Qui fit jadis faillir Auguste ?

Sa faute offense ses neveux,

Et fait perdre beaucoup de vœux

Aux autels qu’on doit à sa gloire :

Même les astres aujourd’hui

Font des plaintes à la Mémoire

De ce qu’elle a parlé de lui.
Encore dit-on que son ire

L’avait bien justement pressé,

Et qu’Ovide ne fut chassé

Que pour avoir osé médire.

Moi, dont l’esprit mieux arrêté

D’une si sotte liberté

Ne se trouva jamais capable,

Aussitôt que je fus banni

Je souhaitai d’être coupable

Pour être justement puni.
Mais jamais la mélancolie,

Qui trouble ces mauvais esprits,

N’a fait paraître en mes écrits

Un pareil excès de folie ;

Et si depuis le premier jour

Que mon devoir et mon amour

M’attachèrent à vos services

Je n’ai tout oublié pour eux,

Le Ciel, pour châtier mes vices,

Fasse un Enfer plus rigoureux.
Je n’ai point failli, que je sache,

Et si j’ai péché contre vous,

Le plus dur exil est trop doux

Pour punir un crime si lâche ;

Aussi quels lieux ont ce crédit,

Où, pour un acte si maudit,

Chacun n’ait droit de me poursuivre ?

Quel monarque est si loin d’ici,

Qui me veuille souffrir de vivre,

Si mon Roi ne le veut aussi ?
Quoi que mon discours exécute,

Que ferai-je à mon mauvais sort ?

Qu’appliquerai-je que la mort

Au malheur qui me persécute ?

Dieu, qui se plaît à la pitié,

Et qui, d’un saint vœu d’amitié,

Joint vos volontés à la sienne,

Puisqu’il vous a voulu combler

D’une qualité si chrétienne,

Vous oblige à lui ressembler.
Comme il fait à l’humaine race,

Qui se prosterne à ses autels,

Vous ferez paraître aux mortels

Moins de justice que de grâce.

Moi, dans le mal qui me poursuit,

Je fais des vœux pour qui me nuit,

Que jamais une telle foudre

N’ébranle l’établissement

De ceux qui vous ont fait résoudre

A signer mon bannissement.
Un jour leurs haines apaisées

Feront caresse à ma douleur,

Et mon sort, loin de mon malheur,

Trouvera des routes aisées.

Si la clarté me dure assez

Pour voir, après ces maux passés,

Un Ciel plus doux à ma fortune,

Mon âme ne rencontrera

Aucun souci qui l’importune

Dans les vers qu’elle vous fera.
De la veine la plus hardie

Qu’Apollon ait jamais rempli,

Et du chant le plus accompli

De sa parfaite mélodie,

Dessus la feuille d’un papier,

Plus durable que de l’acier,

Je ferai pour vous une image,

Où des mots assez complaisants,

Pour bien parler de mon ouvrage,

Manqueront à vos courtisans.
Là, suivant une longue trace

De l’histoire de tous nos rois,

La Navarre et les monts de Foix

S’étonneront de votre race ;

Là, ces vieux portraits effacés,

Dans mes poèmes retracés,

Sortiront des vieilles chroniques,

Et, ressuscités dans mes vers,

Ils reviendront plus magnifiques

En l’estime de l’univers.
Depuis celui que la Fortune

Amena si près du Liban,

Et sous qui l’orgueil du Turban

Vit fouler le front de la Lune,

Je ferai parler ces rois morts,

Et, renouvelant mes efforts,

Dans le discours de votre vie,

Je ferai si bien mon devoir,

Que la voix même de l’envie

Vous parlera de me revoir.

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