À l’occasion des insultes faites au roi Alphonse XII

par la populace de Paris.
Pourquoi donc cette insulte inepte? Depuis quand,

Ô fier peuple français, le sifflet provocant,

Les farouches clameurs et les lâches huées,

Sous tes portes aux bruits de gloire habituées,

Accueillent-ils ainsi l’étranger dans Paris?

Depuis quand est-ce donc par des charivaris

Que la France reçoit l’hôte qui la visite?

Retournons-nous aux temps du Borusse et du Scythe?

Ton beau titre de peuple éminemment courtois,

Des sots, pour l’abdiquer, monteraient sur les toits!

Ô folie! est-ce là de la vertu civique?

Tu renoncerais donc, sublime République,

Si belle en tes succès, si noble en tes revers,

Désormais à donner l’exemple à l’univers!

France, ce n’est pas toi qui commis cet outrage.

L’Europe tout entière a connu ton courage,

Mais ne te vit jamais arracher les fleurons

Qui, sans injure aux tiens, brillent sur d’autres fronts!

Des gloires d’ici-bas ta part est assez large

Pour que celles d’autrui ne te soient point à charge.

Ce prince, chef élu d’un grand peuple éclairé,

Devait passer chez toi comme un être sacré.

C’est un monarque, soit; en est-il moins un homme?

Et puis Néron lui-même, à l’étranger, c’est Rome !

Ce roi, du sol français n’eût-il pas fait le sien,

Eût-il vingt fois porté l’uniforme prussien,

Eût-il été cent fois l’hôte de l’Allemagne,

Saluez! à son front luit le blason d’Espagne!
Donc c’est bien à l’Espagne, à ses nobles drapeaux

Qu’on prodigue l’opprobre ainsi hors de propos;

Maladroits! avez-vous, en huant ce carrosse,

Effacé Saint-Quentin, Pavie et Saragosse?

Nos pères, ces vainqueurs aux champs d’Almanacid,

Tout en croisant l’épée avec les fils du Cid,

Respectaient votre gloire, antiques Hispanies,

Terre de sommets bleus et de plaines jaunies,

De donjons menaçants, de seuils hospitaliers,

Où sonna l’éperon des derniers chevaliers!
Ô Murcie, Aragon, Castille, Andalousie!

Pays bénis du ciel, et que la Poésie,

Éprise, un soir d’été, de vos charmants séjours,

D’un reflet de son aile a doré pour toujours,

C’est à vous que l’on jette un cri blasphématoire!
Mais ces hommes n’ont donc jamais lu votre histoire!

Ils n’ont donc jamais su – l’on comprend leur dédain -

Que l’Espagnol, poète, artiste et paladin,

Fut, peuple sans rival que la gloire enveloppe,

Durant plus de mille ans, le premier de l’Europe!

Que déjà, du temps même où les forums romains

Au mot de liberté, joyeux, battaient des mains,

L’Espagne au fond des bois tenait des assemblées!

Que, près d’un siècle avant que les castes troublées

Discutassent à Londres avec acharnement,

Les Cortès, à Léon, siégeaient en parlement!

Que huit cents ans bientôt auront lui sur le monde,

Depuis que le Progrès, qui dénoue et féconde,

Sur le sol espagnol brisa le premier frein,

Et proclama les droits du vote souverain!

Que ce peuple fut grand par les arts et la guerre!

Qu’il sut braver jadis Charlemagne, et naguère

Sut défier encor le fameux conquérant

Que l’histoire a nommé Napoléon le Grand!

Que Viriathe, à lui seul, rebelle à tout servage,

Acculé comme un loup dans la sierra sauvage,

Dix ans tint en échec Rome et ses généraux!

Que Pélage, à son tour, formidable héros,

Écrivit de son glaive une légende telle

Qu’elle a suffi pour rendre une époque immortelle!

Que des grands noms l’Espagne est l’un des plus anciens!

Que Cadix fut bâti par les Phéniciens,

Sagonte par les Grecs, par les Gaulois Numance;

Que Rome de Madrid a jeté la semence;

Que Carthagène avait Asdrubal pour parrain,

Et Tolède pour père un sauvage du Rhin!

Et puis, quelle autre race ou lettrée ou guerrière

A su porter plus loin l’éclat de sa carrière?

Quelle autre nation, quel peuple jeune ou vieux

A bercé dans ses bras plus d’enfants glorieux?

L’Espagne eut Cespédès, cet autre Michel-Ange,

Cervantès le profond et Mendoza l’étrange,

Calderon, de Vega, Santos, Montemayor,

Valasquez, Juan Calvo, Murillo, Salvador,

Zurbaran, Hernandez, Medina, Mercadante,

Tous les talents depuis Phidias jusqu’à Dante,

Tous les héros connus d’Achille à Spartacus :

Elle eut Léonidas, et Coclès et Gracchus…

Mais pourquoi tant fouiller dans la cendre historique?

L’Espagne eut – c’est assez – Lépante et l’Amérique!
Lépante! – c’est le duel de deux âges rivaux;

La lutte du passé contre les temps nouveaux;

C’est du monde en travail l’une des grandes crises;

C’est l’Occident chrétien avec l’Asie aux prises;

Ce n’est plus un combat entre deux nations,

C’est l’âpre choc de deux civilisations!

Or l’Espagne enrayant l’univers sur sa pente,

Soldat de l’avenir, fut vainqueur à Lépante!
L’Amérique! – Salut, carrefour surhumain

Où de l’humanité bifurque le chemin!

Comment, avec les mots d’une langue inféconde,

Te nommer, ô sublime éclosion d’un monde?

Effacez l’Amérique, où, sentant son déclin,

L’Europe qui fermente a versé son trop plein,

Et, sous son propre poids dont le fardeau l’écrase,

L’univers ébranlé chancelle sur sa base.

L’Amérique c’est la soupape des Titans,

Le balancier qui vibre entre les mains du Temps :

Double objet qui, donnant au vieux monde un sol libre,

Prévint l’explosion et sauva l’équilibre!
Or, à toi, noble Espagne! à toi, Ferdinand deux,

La grande part d’honneur dans ce pas hasardeux!

Car, quel que soit le point qu’indiquât sa boussole,

Si Colomb fut génois, sa barque est espagnole!

Oui, l’histoire a parlé : tout ce qui peut tenir

D’aurore, de progrès, d’espoir et d’avenir

Dans deux noms d’ici-bas – ô vérité frappante! -

Tient dans ces deux grands noms : Amérique et Lépante!
Et notre âge les doit, Espagne, à tes héros!
Enfin, qui n’aimerait tes vieux romanceros,

Tes ballades d’amour, tes légendes tragiques,

Les récits merveilleux de tes conteurs magiques,

Belle Espagne! Souvent mon rêve tend les bras

Vers tes escurials et vers tes alhambras,

Où, la nuit, vont errer sous les verts sycomores

Tes monarques chrétiens avec tes vieux rois mores.

Il aime les grands airs de ton noble hidalgo.

Ton boléro joyeux, ton souple et fier tango,

Tes gais torréadors, tes brunes gitanelles

Cachant sous l’évantail leurs ardentes prunelles;

Il s’arrête parfois aux balcons du Prado,

Lorsque la senora soulève son rideau

Pour écouter chanter les douces sérénades;

Il se penche souvent au bord des esplanades,

À l’heure où le son vif et clair des tambourins

Flotte dans l’air ému de tes longs soirs sereins.

Et puis, jamais lassé d’aller boire à tes sources,

Mon rêve, revenu de ces lointaines courses

- De parfums, d’harmonie et d’amour enivré -

Garde encore un reflet de ton beau ciel doré.

Oui, j’aime ce pays de la blonde romance,

Où Corneille a puisé, par où Hugo commence!

Sol de l’antique honneur à la valeur uni,

Qui nous prête le Cid et nous donne Hernani!

Sol prodigue et fécond, rien ne manque à ta gloire,

Et quiconque t’insulte, insulte aussi l’histoire!
Oh! non, vaillante Espagne, en ces hideux excès,

Je ne reconnais point le noble sang français.

Ce n’est pas là non plus la République fière

Qui disait à chacun des peuples : Sois mon frère!

Au-dessus de ce tas d’ignorants dévoyés,

D’anarchistes jaloux et peut-être… payés,

Dans d’autres régions on voit planer la France.

Celle-là sut toujours prêcher la tolérance;

Et – même auprès d’un roi, fût-il monstre et payen, -

Dans ses devoirs envers l’hôte et le citoyen,

Si la France mentait à son rôle historique,

Nous saurions protester, nous, Français d’Amérique!

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L’Espagne
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