Ne me fais point aimer avecque tant de peine…

Ne me fais point aimer avecque tant de peine,

Dedans ma passion garde-moi l’âme saine,

Tiens le plaisir des vers dans la fureur d’amour,

Si j’ai souffert la nuit console-moi le jour,

Quand tu m’auras blessé permets que je soupire,

Et quand j’ai soupiré permets-moi de l’écrire.

Ce beau feu si subtil qui pour nous faire aimer

Vient dedans notre sang afin de l’animer,

S’il est trop violent et s’il a trop de flamme

Il affaiblit le corps, il éblouit notre âme;

Mais lorsqu’à petits traits le cœur en est épris,

Il nous rend meilleurs les corps et les esprits.

Ainsi qui n’est saisi de cette rage extrême,

Qui prend la liberté de savoir ce qu’il aime,

Qui s’en fait obliger et ne se laisse pas

Abuser sottement à de légers appas,

Avec peu de travail il a bientôt sa proie,

Et de peu de soupirs il achète sa joie.

Ainsi dans le tourment il trouve le bonheur,

Et dans la servitude il fait venir l’honneur.

Parfois sa passion se tient un peu cachée

Pour avoir le plaisir de se voir recherchée,

Et s’il veut consentir de se voir maltraité,

Ce n’est que pour le bien d’être après regretté.

Moi qui toute la nuit offusqué de tes charmes

Les pavots du sommeil ai distillés en larmes,

Et qui m’imaginant d’ouïr tes doux propos,

N’ai su prendre en dormant tant soit peu de repos,

Je mériterais bien que toute la journée

On flattât la douleur que la nuit m’a donnée,

Et que Cloris vînt faire avecque un doux baiser

De ses afflictions mon âme reposer.

On dit que le Soleil sortant du sein de l’onde

Pour rendre l’exercice et la lumière au monde,

Dissipe à son réveil cette confuse erreur

Des songes de la nuit qui nous faisaient horreur;

Mais quand nous guérissons à l’aspect de sa flamme,

Ces petites frayeurs ne percent point dans l’âme,

Ce n’est qu’un peu de bile et de froide vapeur

Qui peint légèrement des visions de peur,

Car une passion bien avant imprimée

Ne s’évanouit pas ainsi qu’une fumée,

Et ceux qui comme moi sont travaillés d’Amour

Gardent leur rêverie et la nuit et le jour.

Cloris est le Soleil dont la clarté puissante

Console à son regard mon âme languissante,

Ecarte mes ennuis, dissipe à son abord

Le chagrin de la vie et la peur de la mort.

Mais depuis peu de jours sa flamme est si tardive,

Pour être comme elle est si perçante et si vive,

Que l’ingrate me laisse à petit feu mourir,

Faute d’un seul regard qui me pourrait guérir.

Donne-moi la raison d’une amitié si lente;

Cloris, aurais-tu peur que mon âme insolente

Offrît à ta beauté qu’un’ vœu respectueux?

Mes désirs sont ardents, mais ils sont vertueux,

Et ce plaisir lascif où le brutal aspire,

N’est pas le mouvement du feu que je soupire.

J’aime à te regarder et d’être tout un jour

Mourant auprès de toi sans te parler d’amour,

Si ce n’est que mes yeux, au desçu de mon âme,

Fassent étinceler quelque rayon de flamme,

Et que mon cœur, surpris de trop de passion,

Lâche quelque soupir sans mon intention.

Mon pauvre esprit captif craint si fort ta colère

Qu’il n’ose hasarder même de te complaire.

J’aime mieux me fâcher de n’avoir point osé

Que mourir dans l’affront de me voir refusé,

Car nier quelque chose à mon désir fidèle

Ce serait me donner une douleur mortelle,

Et de regret contraint de me désespérer,

Je perdrais le plaisir que j’ai de t’adorer.

Il vaut mieux vivre encore en cette incertitude

A quoi que le destin garde ma servitude.

Cependant cet amour me tient les sens ouverts

A la facilité de composer des vers,

J’en tire le plaisir de peindre en mon ouvrage

Tous les traits de mon âme et de ton beau visage,

Et leurs linéaments portraits dans mes écrits,

M’entretiennent toujours les yeux et les esprits.

Puisque le ciel t’a mis dedans la fantaisie

Le bonheur de goûter un peu ma poésie,

Tu verras mon génie à tes yeux complaisant,

T’en faire tous les jours quelque nouveau présent.

Ma passion destine une œuvre à ta louange

Qui te doit plaire mieux que les trésors du Gange,

Et lorsque mon travail te fait songer à moi

Je m’estime aussi riche et plus heureux qu’un roi.

Ce qu’on tient de fortune est une fausse pompe

Où notre infirmité se captive et se trompe,

Un jugement bien sain y sent peu de plaisir,

Et n’y soumet jamais son glorieux désir.

Ces métaux qu’un avare avidement enserre,

Comme indignes du jour sont cachés sous la terre.

Si les trésors étaient, comme on dit, précieux,

Cloris, les diamants nous tomberaient des cieux,

La perle descendrait avecque la rosée,

Elle ne serait point aux ondes exposée,

La mer qui la vomit la tiendrait chèrement,

La mer dont l’ambre même est comme un excrément,

Le Soleil qui fait l’or en aurait des couronnes.

Ainsi je ne veux point, Cloris, que tu me donnes,

Et tu sais bien aussi que je ne pense pas

Que de riches présents soient pour toi des appas,

Car un de mes soupirs que je te fais entendre,

Une goutte de pleurs que tu me vois répandre,

Peuvent plus sur ton âme et te font plus aimer

Que si je te donnais et la terre et la mer.

Je te proteste aussi de n’être point avare,

De tout ce que la mer et la terre ont de rare,

Et qu’un de tes regards me vaut mille fois mieux

Que le gouvernement de l’empire des cieux.

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