La Conquête

Le monde est trépidant de trains et de navires.
De l’Est à l’Ouest, du Sud au Nord,

Stridents et violents,

Ils vont et fuient ;

Et leurs signaux et leurs sifflets déchirent

L’aube, lejour, le soir, la nuit ;

Et leur fumée énorme et transversale

Barre les cités colossales

Et la plaine et la grève et les flots et les cieux.

Et le tonnerre sourd de leurs roulants essieux,

Et le bruit rauque et haletant de leurs chaudières

Font tressaillir, à coups tumultueux de gongs,

Ici, là-bas, partout, jusqu’en son coeur profond,

La terre.
Et le labeur des bras et l’effort des cerveaux

Et le travail des mains et le vol des pensées,

S’enchevêtrent autour des merveilleux réseaux

Que dessine l’élan des trains et des vaisseaux,

A travers l’étendue immense et angoissée.

Et des villes de flamme et d’ombre, à l’horizon,

Et des gares, de verre et de fonte se lèvent,

Et de grands ports bâtis pour la lutte ou le rêve

Arrondissent leur môle et soulèvent leurs ponts ;

Et des phares dont les lueurs brusquement tournent

Illuminent la nuit et rament sur la mer ;

Et c’est ici Marseille, Hambourg, Glascow, Anvers,

Et c’est là-bas Bombay, Singapour et Melbourne.
Oh ces navires clairs et ces convois géants

Chargés de peaux, de bois, de fruits, d’ambre ou de cuivre

A travers les pays du simoun ou du givre,

A travers le sauvage ou torpide océan !

Oh ces forêts à fond de cale, oh ces carrières

Que transportent, le dos ployé, des lourds wagons

Et ces marbres dorés plus beaux que des lumières

Et ces minéraux froids plus clairs que des poisons,

Amas bariolé de dépouilles massives

Venu du Cap, de Sakhaline ou de Ceylan,

Autour de quoi s’agite en rages convulsives

Tout le combat de l’or torride et virulent !
Oh l’or ! sang de la force implacable et moderne ;

L’or merveilleux, l’or effarant, l’or criminel,

L’or des trônes, l’or des ghettos, l’or des autels ;

L’or souterrain dont les banques sont les cavernes

Et qui rêve, en leurs flancs, avant de s’en aller

Sur la mer qu’il traverse ou sur la terre qu’il foule,

Nourrir ou affamer, grandir ou ravaler

Le coeur myriadaire et rouge de la foule !
Jadis l’or était pur et se vouait aux dieux.

Il était l’âme en feu dont fermentait leur foudre.

Quand leurs temples sortaient blancs et nus de la poudre,

Il en ornait le faîte et reflétait les cieux.

Aux temps des héros blonds, il se fit légendaire ;

Siegfried, tu vins à lui dans le couchant marin,

Et tes yeux regardaient son bloc auréolaire,

Luire, comme un soleil, sous les flots verts du Rhin

Mais aujourd’hui l’or vit et respire dans l’homme

Il est sa foi tenace et son dur axiome,

Il rôde, éclair livide, autour de sa folie ;

Il entame son coeur, il pourrit sa bonté ;

Quand la brusque débâcle aux ruines s’allie,

L’or bouleverse et ravage, telle la guerre,

Le formidable espoir des cités de la terre.
Pourtant c’est grâce à lui

Que l’homme, un jour, a redressé la tête

Pour que l’immensité soit sa conquête.

Oh l’éblouissement à travers les esprits !

Les métaux conducteurs de rapides paroles,

Par dessus les vents fous, par dessous la mer folle,

Semblent les nerfs tendus d’un immense cerveau.

Tout paraît obéir à quelque ordre nouveau.

L’Europe est une forge où se frappe l’idée.

Races des vieux pays, forces désaccordées,

Vous nouez vos destins épars, depuis le temps

Que l’or met sous vos fronts le même espoir battant ;

Havres et quais gluants de poix et de résines,

Entrepôts noirs, chantiers grinçants, rouges usines,

Votre travail géant serre en tous sens ses noeuds

Depuis que l’or sur terre aveugle l’or des cieux.

C’est l’or de vie ou l’or de mort, c’est l’or lyrique

Qui contourne l’Asie et pénètre l’Afrique ;

C’est l’or par delà l’Océan, l’or migrateur

Rué des pôles blancs vers les roux équateurs,

L’or qui brille sur les gloires ou les désastres,

L’or qui tourne, autour des siècles, comme les astres ;

L’or unanime et clair qui guide, obstinément,

De mer en mer, de continent en continent,

Où que leur mât se dresse, où que leur rail s’étire,

Partout ! l’essor dompté des trains et des navires.

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La Conquête
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