31 – Asses vit qui meurt quand veult

CCLXXVII [=CCLXVII] .
Au doulx record de son nom je me sens

De part en part l’sperit [=esperit] trespercer

Du tout en tout, jusqu’au plus vif du sens:

Tousjours, toute heure, & ainsi sans cesser

Fauldra finir ma vie, & commencer

En ceste mort inutilement vive.

Mais si les Cieulx telle prerogative

Luy ont donnée, a quoy en vain souspire?

Jà ne fault donc que de moy je la prive,

Puis qu’asses vit, qui meurt, quand il desire.
CCLXXVIII [=CCLXVIII] .
A son Amour la belle aux yeulx aiguz

Fait un bandeau d’un crespe de Hollande,

Lequel elle ouvre, & de plumes d’Argus

Le va semant par subtilité grande.

Adonc l’Enfant esbahy luy demande:

Pourquoy metz tu en ce lieu des yeulx faincts?

C’est pour monstrer, luy dy je, que tu fains

De ne veoir point contre qui tu sagettes:

Car, sans y veoir, parmy tant de coups vains

Elle eust sentu, quelquesfoys, tes sagettes.
CCLXXIX [=CCLXIX] .
Ces deux Soleilz nuisamment penetrantz,

Qui de mon vivre ont eu si long Empire,

Par l’oeil au Coeur tacitement entrantz

Croissent le mal, qui au guerir m’empire.

Car leur clarté esblouissamment pire

A son entrée en tenebres me met:

Puis leur ardeur en joye me remet,

M’esclairant tout au fort de leurs alarmes

Par un espoir, qui rien mieulx ne promet,

Qu’ardentz souspirs estainctz en chauldes larmes.
CCLXXX [=CCLXX] .
Amour lustrant tes sourcilz Hebenins,

Avecques toy contre moy se conseille:

Et se monstrantz humainement benings,

Le moindre d’eulx mille mortz m’appareille.

Arcz de structure en beaulté nompareille,

A moy jadis immortel argument,

Vous estes seul, & premier instrument,

Qui liberté, & la raison offence.

Car qui par vous conclut resolument

Vivre en aultruy, en soy mourir commence.
CCLXXXI [=CCLXXI] .
J’espere, & crains, que l’esperance excede

L’intention, qui m’incite si fort.

Car jà mon coeur tant sien elle possede,

Que contre paour il ne fait plus d’effort.

Mais seurement, & sans aulcun renfort

Ores ta face, ores le tout il lustre:

Et luy suyvant de ton corps l’ordre illustre,

Je quiers en toy ce, qu’en moy j’ay plus cher.

Et bien qu’espoir de l’attente me frustre,

Point ne m’est grief en aultruy me chercher.
CCLXXXII [=CCLXXII] .
Tousjours mourant, tousjours me trouve sain

Tremblant la fiebvre en moy continuelle,

Qui doulcement me consomme le sein

Par la chaleur d’elle perpetuelle,

Que de sa main de froideur mutuelle

Celle repaist, ainsi qu’oyseau en cage.

Aussi, ô Gantz, quand vous levay pour gage,

Et le baiser, qu’au rendre vous donnay

Me fut heureux, toutesfoys dur presage:

Car lors ma vie, & moy abandonnay.
CCLXXXIII [=CCXXIII] .
Toute doulceur d’Amour est destrempée

De fiel amer, & de mortel venin,

Soit que l’ardeur en deux coeurs attrempée

Rende un vouloir mutuel, & benin.

Delicatesse en son doulx femenin

Avec ma joye à d’elle prins congé.

Fais donc, que j’aye, ô Apollo, songé

Sa fiebvre avoir si grand’ beaulté ravie,

Et que ne voye en l’Ocean plongé

(Avant le soir) le Soleil de ma vie.
CCLXXXIIII [=CCLXXIIII] .
Si poingnant est l’esperon de tes graces,

Qu’il m’esguillonne ardemment, ou il veult,

Suyvant tousjours ses vertueuses traces,

Tant que sa poincte inciter en moy peult

Le hault desir, que jour, & nuict m’esmeult

A labourer au joug de loyaulté.

Et tant dur est le mors de ta beaulté

(Combien encor que tes vertus l’excellent)

Que sans en rien craindre ta crualté

Je cours soubdain, ou mes tourmentz m’appellent.
CCLXXXV [=CCLXXV] .
Pour m’incliner souvent a celle image

De ta beaulté esmerveillable Idée,

Je te presente autant de foys l’hommage,

Que toute loy en faveur decidée

Te peult donner. Parquoy ma foy guidée

De la raison, qui la me vient meurant,

Soit que je sorte, ou soye demeurant,

Reveramment, te voyant, te salue,

Comme qui offre, avec son demeurant

Ma vie aux piedz de ta haulte value.

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