Les Cathédrales

Mais gloire aux cathédrales !

Pleines d’ombre et de feux, de silence et de râles,

Avec leur forêt d’énormes piliers

Et leur peuple de saints, moines et chevaliers,

Ce sont des cités au-dessus des villes,

Que gardent seulement les sons irréguliers

De l’aumône, au fond des sébiles,

Sous leurs porches hospitaliers.

Humblement agenouillées

Comme leurs sœurs des champs dans les herbes mouillées,

Sous le clocher d’ardoise ou le dôme d’étain,

Où les angélus clairs tintent dans le matin,

Les églises et les chapelles

Des couvents,

Tout au loin vers elles,

Mêlent un rire allègre au rire amer des vents,

En joyeuses vassales ;

Mais elles, dans les cieux traversés des vautours,

Comme au cœur d’une ruche, aux cages de leurs tours,

C’est un bourdonnement de guêpes colossales.

Voyez dans le nuage blanc

Qui traverse là-haut des solitudes bleues,

Par-dessus les balcons d’où l’on voit les banlieues,

Voyez monter la flèche au coq étincelant,

Qui, toute frémissante et toujours plus fluette,

Défiant parfois les regards trop lents,

Va droit au ciel se perdre, ainsi que l’alouette.

Ceux-là qui dressèrent la tour

Avec ses quatre rangs d’ouïes

Qui versent la rumeur des cloches éblouies,

Ceux qui firent la porte avec les saints autour,

Ceux qui bâtirent la muraille,

Ceux qui surent ployer les bras des arcs-boutants,

Dont la solidité se raille

Des gifles de l’éclair et des griffes du temps ;

Tous ceux dont les doigts ciselèrent

Les grands portails du temple, et ceux qui révélèrent

Les traits mystérieux du Christ et des Élus,

Que le siècle va voir et qu’il ne comprend plus ;

Ceux qui semèrent de fleurs vives

Le vitrail tout en flamme au cadre des ogives

Ces royaux ouvriers et ces divins sculpteurs

Qui suspendaient au ciel l’abside solennelle,

Dont les ciseaux pieux criaient dans les hauteurs,

N’ont point gravé leur nom sur la pierre éternelle ;

Vous les avez couverts, poudre des parchemins !

Vous seules les savez, vierges aux longues mains !

Vous, dont les Jésus rient dans leurs barcelonnettes,

Artistes d’autrefois, où vous reposez-vous ?

Sous quelle tombe où l’on prie à genoux ?

Et vous, mains qui tendiez les nerfs des colonnettes,

Et vous, doigts qui semiez

De saintes le portail où nichent les ramiers,

Et qui, dans les rayons dont le soleil l’arrose,

Chaque jour encor faites s’éveiller

La rosace, immortelle rose

Que nul vent ne vient effeuiller !

Ô cathédrales d’or, demeures des miracles

Et des soleils de gloire échevelés autour

Des tabernacles

De l’amour !

Vous qui retentissez toujours de ses oracles,

Vaisseaux délicieux qui voguez vers le jour !

Vous qui sacrez les rois, grandes et nobles dames,

Qui réchauffez les cœurs et recueillez les âmes

Sous votre vêtement fait en forme de croix !

Vous qui voyez, ô souveraines,

La ville à vos genoux courber ses toits !

Vous dont les cloches sont, fières de leurs marraines,

Comme un bijou sonore à l’oreille des reines !

Vous dont les beaux pieds sont de marbre pur !

Vous dont les voiles

Sont d’azur !

Vous dont la couronne est d’étoiles !

Sous vos habits de fête ou vos robes de deuil,

Vous êtes belles sans orgueil !

Vous montez sans orgueil vos marches en spirales

Qui conduisent au bord du ciel,

Ô magnifiques cathédrales,

Chaumières de Jésus, Bethléem éternel !

Si longues, qu’un brouillard léger toujours les voile ;

Si douces, que la lampe y ressemble à l’étoile,

Les nefs aux silences amis,

Dans l’air sombre des soirs, dans les bancs endormis,

Comptent les longs soupirs dont tremble un écho chaste

Et voient les larmes d’or où l’âme se répand,

Sous l’œil d’un Christ qui semble, en son calvaire vaste,

Un grand oiseau blessé dont l’aile lasse pend.

Ah ! bienheureux le cœur qui, dans les sanctuaires,

Près des cierges fleuris qu’allument les prières,

Souvent, dans l’encens bleu, vers le Seigneur monta,

Et qui, dans les parfums mystiques, écouta

Ce que disent les croix, les clous et les suaires,

Et ce que dit la paix du confessionnal,

Oreille de l’amour que l’homme connaît mal ! …

Avec sa grille étroite et son ombre sévère,

Ô sages, qui parliez autour du Parthénon,

Le confessionnal, c’est la maison de verre

À qui Socrate rêve et qui manque à Zénon !

Grandes ombres du Styx, me répondrez-vous: non ?…

Ce que disent les cathédrales,

Soit qu’un baptême y jase au bord des eaux lustrales,

Soit qu’au peuple, autour d’un cercueil,

Un orgue aux ondes sépulcrales

Y verse un vin funèbre et l’ivresse du deuil,

Soit que la foule autour des tables

S’y presse aux repas délectables,

Soit qu’un prêtre vêtu de blanc

Y rayonne au fond de sa chaise,

Soit que la chaire y tonne ou soit qu’elle se taise,

Heureux le cœur qui l’écoute en tremblant !

Heureux celui qui vous écoute,

Vagues frémissements des ailes sous la voûte !

Comme une clé qui luit dans un trousseau vermeil

Quand un rayon plus rouge aux doigts d’or du soleil

A clos la porte obscure au seuil de chaque église,

Quand le vitrail palpite au vol de l’heure grise,

Quand le parvis plein d’ombre éteint toutes ses voix,

Ô cathédrales, je vous vois

Semblables au navire émergeant de l’eau brune,

Et vos clochetons fins sont des mâts sous la lune ;

D’invisibles ris sont largués,

Une vigie est sur la hune,

Car immobiles, vous voguez,

Car c’est en vous que je vois l’arche

Qui, sur l’ordre de Dieu, vers Dieu s’est mise en marche ;

La race de Noé gronde encore dans vos flancs ;

Vous êtes le vaisseau des immortels élans,

Et vous bravez tous les désastres.

Car le maître est Celui qui gouverne les astres,

Le pilote, Celui qui marche sur les eaux…

Laissez, autour de vous, pousser aux noirs oiseaux

Leur croassement de sinistre augure ;

Allez, vous êtes la figure

Vivante de l’humanité ;

Et la voile du Christ à l’immense envergure

Mène au port de l’éternité.

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Les Cathédrales
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