La pastorale de Conlie

par un mobilisé du Morbihan
Moral jeunes troupes excellent.

(Off.)
Qui nous avait levés dans le Mois-noir – Novembre –

Et parqués comme des troupeaux

Pour laisser dans la boue, au Mois-plus-noir – Décembre –

Des peaux de mouton et nos peaux !
Qui nous a lâchés là : vides, sans espérance,

Sans un levain de désespoir !

Nous entre-regardant, comme cherchant la France…

Comiques, fesant peur à voir !
– Soldats tant qu’on voudra !… soldat est donc un être

Fait pour perdre le goût du pain ?…

Nous allions mendier ; on nous envoyait paître :

Et… nous paissions à la fin !

– S’il vous plaît : Quelque chose à mettre dans nos bouches ?…

– Héros et bêtes à moitié ! –

… Ou quelque chose là : du cœur ou des cartouches :

– On nous a laissé la pitié !
L’aumône : on nous la fit – Qu’elle leur soit rendue

À ces bienheureux uhlans soûls !

Qui venaient nous jeter une balle perdue…

Et pour rire !… comme des sous.
On eût dit un radeau de naufragés. – Misère –

Nous crevions devant l’horizon.

Nos yeux troubles restaient tendus vers une terre…

Un cri nous montait : Trahison !
– Trahison… c’est la guerre ! On trouve à qui l’on crie !…

– Nous : pas besoin… – Pourquoi trahis ?…

J’en ai vu parmi nous, sur la Terre-Patrie,

Se mourir du mal-du-pays.
– Oh, qu’elle s’en allait morne, la douce vie !…

Soupir qui sentait le remord

De ne pouvoir serrer sur sa lèvre une hostie,

Entre ses dents la mâle-mort !…

– Un grand enfant nous vint, aidé par deux gendarmes,

– Celui-là ne comprenait pas –

Tout barbouillé de vin, de sueur et de larmes,

Avec un biniou sous son bras.
Il s’assit dans la neige en disant : Ça m’amuse

De jouer mes airs ; laissez-moi. –

Et, le surlendemain, avec sa cornemuse,

Nous l’avons enterré – Pourquoi !…
Pourquoi ? dites-leur donc ! Vous du Quatre-Septembre !

À ces vingt mille croupissants !…

Citoyens-décréteurs de victoires en chambre,

Tyrans forains impuissants !
– La parole est à vous – la parole est légère !…

La Honte est fille… elle passa –

Ceux dont les pieds verdis sortent à fleur-de-terre

Se taisent… – Trop vert pour vous, ça !
– Ha ! Bordeaux, n’est-ce pas, c’est une riche ville…

Encore en France, n’est-ce pas ?…

Elle avait chaud partout votre garde mobile,

Sous les balcons marquant le pas ?

La résurrection de nos boutons de guêtres

Est loin pour vous faire songer ;

Et, vos noms, je les vois collés partout, ô Maîtres !…

– La honte ne sait plus ronger. –
– Nos chefs… ils fesaient bien de se trouver malades !

Armés en faux-turcs-espagnols

On en vit quelques-uns essayer des parades

Avec la troupe des Guignols.
– Le moral : excellent – Ces rois avaient des reines,

Parmi leurs sacs-de-nuit de cour…

À la botte vernie il faut robes à traînes ;

La vaillance est sœur de l’amour.
– Assez ! – Plus n’en fallait de fanfare guerrière

À nous, brutes garde-moutons,

Nous : ceux-là qui restaient simples, à leur manière,

Soldats, catholiques, Bretons…
À ceux-là qui tombaient bayant à la bataille,

Ramas de vermine sans nom,

Espérant le premier qui vint crier : Canaille !

Au canon, la chair à canon !…

– Allons donc : l’abattoir ! – Bestiaux galeux qu’on rosse,

On nous fournit aux Prussiens ;

Et, nous voyant rouler-plat sous les coups de crosse,

Des Français aboyaient – Bons chiens !
Hallali ! ramenés ! – Les perdus… Dieu les compte, –

Abreuvés de banals dédains ;

Poussés, traînant au pied la savate et la honte,

Cracher sur nos foyers éteints !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

– Va : toi qui n’es pas bue, ô fosse de Conlie !

De nos jeunes sangs appauvris,

Qu’en voyant regermer tes blés gras, on oublie

Nos os qui végétaient pourris,
La chair plaquée après nos blouses en guenilles

– Fumier tout seul rassemblé…

– Ne mangez pas ce pain, mères et jeunes filles !

L’ergot de mort est dans le blé.
1870.

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La pastorale de Conlie
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