Vers le passé

Longuement poursuivi par le spleen détesté,

Quand je vais dans les champs, par les beaux soirs d’été,

Au grand air rafraîchir mes tempes,

Je ris de voir, le long des bois, les fiancés

Cheminer lentement, deux par deux, enlacés

Comme dans les vieilles estampes.
Car je dédaigne enfin les baisers puérils

Et la foi des seize ans, fleur brève des avrils,

Éphémère duvet des pêches,

Qui fait qu’on se contente et qu’on est trop heureux,

Si la femme qu’on aime a les bras amoureux,

L’âme neuve et les lèvres fraîches.
Elle est évanouie à jamais, la candeur

Qui fait que l’on s’éprend d’un petit air boudeur

Qui n’est bien qu’à travers le voile,

Et qu’on n’a pas de mots assez ambitieux

Pour dire à ses amis qu’elle a de jolis yeux

Couleur de bleuet et d’étoile.
Et c’est la fin. Mon cœur, quitté des anciens vœux,

Ne saura plus le charme infini des aveux

Et ce bonheur qui vous inonde,

Parce qu’un soir de mai, dans les bois, à Meudon,

Sur votre épaule avec un geste d’abandon

Elle a posé sa tête blonde.
Et pourtant j’ai connu tout cela ; j’ai connu

Même ces doux projets de bonheur ingénu

Dont l’âme si bien s’accommode :

L’hiver, le coin du feu, la chambre aux sourds tapis,

Et, dans un frais berceau, deux enfants assoupis

Auprès de leur mère qui brode.
Mais cet espoir, hélas ! d’un avenir doré,

Ces apparitions, ces rêves ont duré

Le temps d’une aube boréale,

Et mon esprit partit aux pays fabuleux

Où l’on pense cueillir les camélias bleus

Et trouver l’amour idéale.
Là, j’ai beaucoup souffert, et j’en reviens meurtri.

En d’indignes plaisirs à jamais j’ai flétri

Les saintes blancheurs de mon âme.

Je reviens du rivage où j’avais émigré,

Et j’ai le front très pâle ; et cependant, malgré

Ce que j’ai souffert par la femme,
Malgré ce cœur brisé, sans espoir et sans foi,

Ces débauches qu’on fait à la fin malgré soi

Comme de hideuses besognes,

Sans cesse je retourne à mon passé riant,

Ainsi qu’aux premiers froids toujours vers l’Orient

Reviennent les blanches cigognes.

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Vers le passé
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