Les Absentes

À ma sœur Marie.
I
Le soir, quand je m’en vais tout seul le long des rues,

Vers les faubourgs, pour voir le soleil se coucher.

Je sens autour de moi mes deux sœurs disparues

Comme des oiseaux blancs autour d’un noir clocher.
Et j’en rêve avec plus de tendresse et de force,

Car le temps ne peut rien si le culte est fervent ;

Comme il advient des noms gravés sur une écorce

Toujours leur souvenir pénètre plus avant.
Quand nous étions petits, quelle chaude atmosphère

Nos haleines d’enfants soufflaient sur le foyer ;

Tout semblait rajeunir rien qu’à nous laisser faire,

Rien qu’à nous voir joyeux tout semblait s’égayer !…
Dans le jardin étroit nous nous roulions sur l’herbe

Avec le vieux griffon que son collier gênait ;

Et nous formions un groupe adorable et superbe

Sous le grand soleil d’or qui nous illuminait.
Et quand nous rentrions dans la maison, la mère

Grondait d’avoir sali le propre tablier,

Mais pas fort… et bientôt s’apaisait sa colère,

Car nos tendres baisers lui faisaient oublier !…
Elle aimait de nous voir coquets, et les dimanches,

Pour aller aux concerts, les petites mettaient

Des robes en tissu léger, à courtes manches,

Et des chapeaux de paille où des rubans flottaient.
Sous les yeux des parents qui marchaient en arrière

Nous allions tous les trois nous tenant par la main ;

Et parfois un vieux prêtre, en fermant son bréviaire,

Souriait de nous voir si beaux dans son chemin.
Et l’on se retournait vers nous en promenade,

Et les oiseaux, perchés sur des rameaux dormants,

Adoucissaient dans l’air du soir leur sérénade,

Voyant la mère heureuse et les enfants charmants !…
II
Elles avaient grandi belles, rieuses, fraîches

Sous leurs longs cheveux blonds flottant comme un drapeau,

Et sur leur joue en fleur tel qu’un duvet de pêches

Un sang rose et vermeil frémissait sous la peau.
Dans leur grands cols brodés et leurs fines guipures

Comme en un cadre étroit, leur profil aminci

Se détachait, pareil à ces têtes si pures

Que met dans ses tableaux Léonard de Vinci.
Tout riait, tout chantait, tout s’ouvrait devant elles,

Et déjà leurs parents rêvaient du jour béni

Où dans le chaste élan des amours immortelles

Elles s’envoleraient aussi pour faire leu nid.
Mais soudain la pâleur horrible des phtisiques

Comme un masque de chaux se posa sur leurs fronts,

Et leurs doigts ivoirins cessèrent leurs musiques,

Car les oiseaux fuient l’arbre au bruit des bûcherons…
Je me rappelle tout : les douleurs successives,

Et les déchirements nocturnes de la toux,

Et les tristes regards qu’elles jetaient, pensives,

A travers les carreaux sur le ciel clair et doux.
Je mes souviens encor des dernières sorties

Au soleil, dans un châle épais, à petits pas,

Quand leur visage avait la blancheur des hosties

Et qu’elles se mouraient en ne s’en doutant pas !…
Car elles s’attachaient plus fort à l’existence,

Ne croyant pas qu’on meurt quand on n’a pas vingt ans,

Et qu’on a le cœur bon, et le désir intense

De vivre dans la joie et les fleurs du printemps.
Je me rappelle aussi les suprêmes journées :

Le sang rouge craché sur la neige des draps,

Et derrière le lit les deux Sœurs inclinées

Qui leur tenaient la tête et se parlaient tout bas…
Enfin les oraisons et les cierges funèbres,

Quand l’agonie affreuse et lente a commencé,

Jusqu’à ce qu’un grand râle au milieu des ténèbres,

Portant leurs âmes à Dieu, sur nos fronts fût passé !…
Puis on les étendit dans de fraîches toilettes

Au milieu d’un salon qu’une lampe étoilait ;

On entoura leurs fronts de pâles violettes

Et l’on mit dans leurs mains un petit chapelet.
C’était si désolant cette exquise parure

De blanche fiancée au fond du salon noir

Que nous mettions notre œil au trou de la serrure,

N’osant pas pénétrer, mais voulant les revoir !…
Le jour où leurs cercueils allèrent aux absoutes

Parmi les chants de l’orgue et des enfants de chœur,

Le soleil tamisait par les vitraux des voûtes

Son or sur le suaire avec un air moqueur.
Et lorsque le cortège en deuil passa les portes

Du cimetière empli de fleurs et de soleil,

Les oiseaux paraissaient surpris de voir des mortes

Quand tout chantait ainsi dans l’éclat du réveil !…
On posa les cercueils devant la fosse ouverte,

Et le prêtre en surplis chanta l’adieu final

Auquel le fossoyeur, tendant la branche verte,

Répondit d’un ton triste et d’un air machinal.
Enfin on fit glisser dans la tombe apprêtée

La bière qui rendit un affreux grincement ;

Et chacun à son tour jeta sa pelletée

Et la terre roula lentement, sourdement…
III
Mon dieu ! c’était pourtant une chose inutile,

Prendre ces deux enfants à leur petit foyer ;

A quoi peut-il servir que le champ soit fertile

Lorsqu’un seul coup de vent doit tout y balayer ?…
C’était bien peu pour vous les laisser vivre et croître !

Et si vous désiriez les voir à vos genoux,

Vous aviez le couvent et vous aviez le cloître

Qui nous les conservaient en les prenant pour vous !…
Car c’est triste mourir aux portes de la vie

Qui s’ouvre ainsi qu’un temple immense et parfumé,

Où l’amour sur sa croix comme un dieu vous convie

Et tomber sur le seuil sans même avoir aimé.
C’est triste s’endormir dans les mélancolies

D’un matin qui promet de si doux lendemains,

Et s’éloigner du bord comme des Ophélies

En n’ayant que des fleurs de printemps dans les mains !…
Mais c’est plus triste encore abandonner la mère

Glacée avant la mort et vieille avant le temps,

Qui caressait déjà cette folle chimère

De rajeunir avec ses filles de vingt ans !…
Seigneur ! c’est une loi cruelle, à ce qu’il semble,

De prendre ses enfants à celle qui les fit,

Et qui croit, dans l’asile où son cœur les rassemble,

Que pour les conserver son seul amour suffit.
Soit ! il faut que tout passe et que tout s’engloutisse !…

Mais on laisse grandir les arbres dans les bois ;

Et c’est la loi du moins conforme à la justice

Que l’on meure à son tour et pas à votre choix !…
C’est la loi de raison que les enfants survivent,

Et qu’aussi les parents, s’ils sont devenus vieux,

Résignés, fassent place à d’autres qui les suivent

Et qui prendront leur âme en leur fermant les yeux !
Mais ces morts de vingt ans qu’on couche sous les pierres

Vous détachent souvent bien des âmes, Seigneur !

On ne voit plus le ciel, des pleurs dans les paupières ;

On ne croit plus à Dieu quand on vit sans bonheur !…
IV
Seigneur ! que vous importe !…il faut que l’homme souffre

Et se trempe le cœur à se désespérer ;

Car si lugubre et si profond que soit le gouffre

Votre impassible front vient encor s’y mirer !…
Vous semblez accomplir plus d’un sombre mystère

En dépeuplant ainsi nos cœurs et nos maisons ;

Mais il vaut mieux plier les genoux et se taire

Et surmonter de croix les tertres des gazons.
Puisqu’au lieu des deux sœurs qui mouraient, votre grâce

Fit qu’un dernier enfant soit venu nous charmer ;

De l’une elle a l’esprit, de l’autre elle a la grâce,

Et nous pouvons encore en elle les aimer !…
Nous l’aimons donc pour trois, la dernière venue !

Comprenant aujourd’hui le même plan profond

Qui règle la clarté du cœur et de la nue :

Quand le soleil paraît, les étoiles s’en vont !

Évaluations et critiques :

Les Absentes
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.singularReviewCountLabel }}
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.pluralReviewCountLabel }}
{{ options.labels.newReviewButton }}
{{ userData.canReview.message }}

Partagez votre poésie avec le monde! Quelle est votre opinion sur ce poème?

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x