Requête de Théophile à Nosseigneurs de Parlement

Celui qui briserait les portes

Du cachot noir des troupes mortes,

Voyant les maux que j’ai soufferts,

Dirait que ma prison est pire:

Ici les âmes ont des fers,

Ici le plus constant soupire.

Dieux, souffrez-vous que les Enfers

Soient au milieu de votre empire,

Et qu’une âme innocente, en un corps languissant,

Ne trouve point de crise aux douleurs qu’elle sent?

L’oeil du monde qui par ses flammes

Nourrit autant de corps et d’âmes

Qu’en peut porter chaque élément,

Ne saurait vivre demi-heure

Où m’a logé le Parlement;

Et faut que ce bel astre meure

Lorsqu’il arrive seulement

Au premier pas de ma demeure.

Chers lieutenants des dieux qui gouvernez mon sort,

Croyez-vous que je vive où le Soleil est mort?

Je sais bien que mes insolences

Ont si fort chargé les balances

Qu’elles penchent à la rigueur,

Et que ma pauvre âme abattue

D’une longue et juste langueur,

Hors d’apparence s’évertue

De sauver un peu de vigueur

Dans le désespoir qui la tue;

Mais vous êtes des dieux, et n’avez point de mains

Pour la première faute où tombent les humains.

Si mon offense était un crime,

La calamité qui m’opprime

Dans les horreurs de ma prison

Ne pourrait sans effronterie

Vous demander sa guérison;

Mon insolente flatterie

Ferait lors une trahison

A la pitié dont je vous prie,

Et ce reste d’espoir qui m’accompagne ici

Se rendrait criminel de vous crier merci.

Pressé d’un si honteux outrage,

Je cherche au fond de mon courage

Mes secrets les moins paraissants,

Je songe à toutes les délices

Où se sont emportés mes sens;

Je m’adresse à tous mes complices:

Mais ils se trouvent innocents

Et s’irritent de mes supplices.

O ciel! ô bonnes mœurs! que puis-je avoir commis

Pour rendre à mon bon droit tant de dieux ennemis?

Mais c’est en vain que je me fie

A la raison qui justifie

Ma pensée et mes actions;

Bien que mon bon droit soit palpable,

Ce sont peut-être illusions:

Le Parlement n’est pas capable

Des légères impressions

Qui font un innocent coupable.

Quelque tort apparent qui me puisse assaillir,

Les juges sont des dieux, ils ne sauraient faillir.

N’ai-je point mérité la flamme

De n’avoir su ployer mon âme

A louer vos divins esprits?

Il est temps que le Ciel s’irrite

Et qu’il punisse le mépris

D’un flatteur de Cour hypocrite

Qui vous a volé tant d’écrits

Qui sont dus à votre mérite.

Courtisans qui m’avez tant dérobé de jours,

Est-ce vous dont j’espère aujourd’hui du secours?

Race lâche et dénaturée,

Autrefois si mal figurée

Par mes vers mal récompensés,

Si ma vengeance est assouvie,

Vous serez si bien effacés

Que vous ne ferez plus d’envie

Aux honnêtes gens offensés

Des louanges de votre vie,

Et que les vertueux douteront désormais

Quel vaut mieux d’un marquis ou d’un clerc du Palais.

Et s’il faut que mes funérailles

Se fassent entre les murailles

Dont mes regards sont limités

Dans ces pierres moins impassibles

Que vos courages hébétés,

J’écrirai des vers si lisibles

Que vos honteuses lâchetés

Y seront à jamais visibles,

Et que les criminels de ce hideux manoir

N’y verront point d’objet plus infâme et plus noir.

Mais si jamais le Ciel m’accorde

Qu’un rayon de miséricorde

Passe au travers de cette tour,

Et qu’enfin mes juges ployables

Ou par justice ou par amour

M’ôtent de ces lieux effroyables,

Je vous ferai paraître au jour

Dans des portraits si pitoyables,

Que votre faible éclat se trouvera si faux,

Que vos fils rougiront de vos sales défauts.

Mes juges, mes dieux tutélaires,

S’il est juste que vos colères

Me laissent désormais vivant,

Si le trait de la calomnie

Me perce encore assez avant,

Si ma muse est assez punie,

Permettez que dorénavant

Elle soit sans ignominie,

Afin que votre honneur puisse trouver des vers

Dignes de les porter aux yeux de l’univers.

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