11 – L’Oeuvre de Haine

L’auvent au bord surabaissé

- Une main au front!

Le faîte du lourd mur redressé

- Un geste de coude qu’on lève!

Enserrent, comme un cadre oblong.

Le léger paysage où va son rêve.
D’auprès de l’enclume qui vibre longuement,

S’il lève la tète

Et redresse son dos qui se voûte,

Essuyant son visage

Où la sueur dégoutte,

Son long regard voyage,

Sa pensée et son doute…

Il voit la plaine et la mer

Se confondre sous le ciel :

La verdure grasse au flot gris se mêle,

Au flot rose où transparaît le sable

Fleuri d’aigrettes d’étincelles

Et bleu glauque, plus loin, vers le large

Où courent les crêtes blanches

Comme des troupeaux épars

Dans un long champ de lin, en été…
N’était cette ligne d’écume plus haute

N’était

La voile rouge qui s’allume,

Là-bas, comme une flamme.

On dirait, sur son âme !

D’une même prairie qui sourit

Verte, rose, bleu glauque :diaprée

Du seuil, ici, tout près.

Jusqu’à l’horizon gris.

Une même prairie, un seul pré,

Sous le ciel infini!
Des nuages au léger essor

Courent sous le ciel bleu clair

Et passent comme des oiseaux,

En grandes ombres qui fuient vers le Nord,

Sur la plaine et la mer.
La brise est tombée, l’air est calme

Et la barque

Éteint sa voile rouge qu’elle cargue

Soudain! comme on étouffe une flamme;

Voici surgir les rames…

Et Wieland les regarde

Qui la poussent en leur geste de palmes

Vers le sort…

Son long regard s’attarde

A l’horizon du Nord.
Cette barque aux cent rames qui s’élèvent et s’abaissent

(Du travail d’un hiver il a forgé cent glaives)

Porte vers l’aventure une fleur de jeunesse:

C’est son oeuvre emportée à l’horizon du rêve

Qui passe, et le sort leur fait signe ;

Les rames s’élèvent et s’abaissent

Vers le but qu’il assigne

De ce geste :
Il brandit le marteau qui retombe en fracas

Et l’enclume sonore jette un sanglot de glas…
N’a-t il mis dans leurs mains le sceptre de la mort ?

N’est-elle sienne, aussi bien, leur victoire ou leur perte ?

L’acier qu’il a brasé rougira la mer verte

Du coup qu’il assène ou provoque;

Et la mort.

Que ceux-ci la donnent ou l’acceptent.

N’est-ce lui qui l’évoque

Vengeresse des perfides ?

N’est-ce lui qui la guide ?
Il est ivre, il suffoque;

Mais aspirant la brise

11 saisit le marteau en sa poigne rigide,

Le brandit sur sa tête :

Le brasier, où le soufflet halète,

Grésille et flambe ;

Sous la dent des tenailles qui le happent

Le fer sanglant s’écaille ;

Le sol tremble;

Le lourd marteau frappe et jappe

Et bondit en sa rage

Et, du fer qu’il écrase,

Un jet – c’est du sang! rejaillit aux murailles

Comme jailli d’entrailles…
Ah Wieland est puissant!

Et sa chanson les raille :
« Dans la barque, là-bas, vers la mort,

Le vent doux les emporte ;

Tu as vaincu le sort

De ta force que les fous croyaient morte !

Malgré l’ombre et l’hiver

Et ce pied mutilé par les lâches

Tu as forgé le fer,

Qui les couche au suaire

Que leur tissent les algues.

La forge a flamboyé dans l’ombre,

Au loin, sur la nuit sanglante,

Ton enclume a sonné tes heures sombres,

A sonné sa chanson sourde et lente,

A travers la tempête.

Comme un bourdon d’alarme au-dessus de leur tête,

Sur la plaine et la mer ;

Tu as trempé le fer.

Tu as forgé des armes ;

Tu as trempé l’acier dans les larmes

Dans les pleurs des filles et des mères ;

Tu as forgé cent glaives pour leur âme et leur chair ! »
Sa vengeance est belle :

Sa force est en elle!

Qu’importe la honte du corps qu’on mutile

Si l’esprit est plus prompt et la main plus subtile ?

Qu’importe l’opprobre à qui crée un destin!

… Mais revoici l’Avril

Qui marche dans le matin…

L’antan que rêva-t-il?

le rêve enfantin !

Ah! ce rêve, il en rit,

Où le désir courba sa pensée,

Gomme un cerceau d’osier

A la mesure du front d’une fille ;

Où le désir d’une femme baisée,

Sur la bouche, de sa bouche,

Et les bras enlacés

Sur son cou qu’ils inclinent

Jusqu’à ce que leurs lèvres se touchent.

Lui semblèrent la courbe de la vie

Et sa forme divine!

Ah! la vaine folie…
Il a honte, s’il songe comme le désir dompte.

Endort l’homme et le lie

Et le jette à la honte,

Inutile et vieilli.

Cette autre servitude est franche :

L’esclave, ici, est maître.

Un maître étrange et traître;

Là-bas le vain amour, échanson qui riait.

Versait un philtre amer aux coupes de douceur.

Il y buvait ses pleurs, le pauvre, et s’enivrait,

Et ceux-ci l’ont lié…

Qu’importe la douleur dont naît la vie :

La haine vengeresse

Promet et tient ses promesses ;

Son geste sur et farouche

Alimente sa soif d’une amertume exquise

Qui lui plisse la bouche

D’un rire sans méprise;

Il est fort pour la vie qu’il domine.

Car il forge la mort qui vengera le crime;

Il a trempé son coeur au flot des pleurs amers ;

Il a durci son âme à l’égal de son sort ;

Il hait bien, et se venge; il est fort comme la mort.

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11 – L’Oeuvre de Haine
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