Dans un joli bois de chez nous,

Un bois d’églantiers et de houx,

Il y avait encore

Un de ces oiseaux merveilleux,

Vert, jaune, rouge, orange et bleu,

Qu’on nomme lophophore.
Tous ses frères, bleus, jaunes, verts,

Depuis longtemps s’envolaient vers

La lointaine Amérique ;

Lui restait, montrant, simple et doux.

Sans un joli bois de chez nous,

Son plumage féerique ;
Et si, comme un prince enchanté,

Ce lophophore était resté

Dans la forêt secrète,

C’est que, vert, jaune, orange et bleu,

Il était tombé amoureux

D’une douce fauvette.
La fauvette l’aimait aussi,

Du moins l’assure ce récit ;

Quand venait l’heure brune,

Ils se donnaient des rendez-vous,

Dans un joli bois de chez nous,

Sous un rayon de lune.
Et l’oiseau bleu comme le soir

Disait son tourment, son espoir,

Son amour, sa démence ;

Et l’arc-en-ciel de ses couleurs,

Qui semblait passer par son cœur,

Colorait sa romance ;
Dans le langage des oiseaux,

Il connaissait d’étranges mots

Qui disaient mille choses,

Et quand, de son gosier qui luit,

S’envolaient tous ces « tui, tui, tui »

La nuit semblait plus rose ;
Quelquefois, quelque son plus fort

Semblait monter comme un fil d’or

Jusqu’à l’étoile en flamme,

Et les vers luisants, sur le sol,

Semblaient encor des si, des sol

Qui tombaient de son âme
Il chantait merveilleusement ;

Comme un oiseau, comme un amant,

Il donnait tout son être…

Mais, dans une histoire d’amour,

Il faut bien qu’il y ait toujours

Quelqu’un qui soit un traître.
Un corbeau, jaloux et subtil,

Et qui convoitait, paraît-il,

La fauvette légère,

S’en fut, à l’ombre d’un vieux trou,

Dans un joli bois de chez nous,

Trouver une sorcière.
« J’ai », dit-il, « tout le cœur rongé

Par le chant de cet étranger

Tout habillé de flamme…

– Oui », dit la vielle, « je sais bien,

Mais sur son chant je ne peux rien,

Car le chant vient de l’âme.
– Quoi ! tu ne peux rien faire, alors ?

– Mais, si ! je peux tout sur son corps,

Sur son joli corps tendre ;

Je peux l’empêcher d’être beau,

Le rendre aussi laid qu’un corbeau,

Sous un habit de cendre. »
Et, lui donnant dans une noix

Une poudre couleur de poix,

Elle dit : « Si tu jettes

La poudre sur lui brusquement,

Il ne restera pas longtemps

L’amant de la fauvette. »
Lorsque le bel oiseau, le soir,

Revint chanter, le corbeau noir

Riait d’un rire sombre ;

Et, sans même trembler un peu,

Il jeta sur l’oiseau de feu

Toute la poudre d’ombre.
Alors, on put voir, brusquement,

L’affreux pouvoir du talisman

De la vieille sorcière ;

L’oiseau de saphir, de rubis,

Ne fut plus qu’un pauvre oiseau gris

Plus gris que la poussière.
Plus de reflet… plus de couleur…

Comme on voit la plus belle fleur

Se faner sur sa tige,

Il s’éteignit… mais, tout à coup,

Dans un joli bois de chez nous,

Il y eut ce prodige :
L’oiseau avait perdu, c’est clair,

Bleu, jaune, mauve, orange et vert,

Sa palette divine;

Mais, comme un souvenir vermeil,

Il gardait un petit soleil

Rouge sur sa poitrine.
Et, parmi son plumage éteint,

C’était si beau de voir soudain

Ce soleil apparaître,

Que l’oiseau, ne gardant au cou

Rien que l’étincelant bijou,

Sembla plus beau, peut-être…
Le corbeau, honteux et confus,

Titubant sur l’arbre touffu,

Tremblait de rage folle ;

Mais la fauvette souriait,

Et tous les cœurs de la forêt

Comprirent le symbole :
L’oiseau qui, dans les nuits d’été,

Avait tant et si bien chanté

Sa tendresse fidèle,

Pouvait perdre tous les reflets,

Mais pas celui qui lui venait

D’une flamme éternelle
Aucun talisman de sorcier

Ne pouvait éteindre un gosier

Qui parla ce langage,

Et l’oiseau garderait toujours

Le feu qu’une chanson d’amour

Laisse sur son passage…
Et voici comment, si touchant,

Parmi l’immensité des champs

De sarrasin et d’orge,

Il y eut, grâce à l’amour fou,

Dans un joli bois de chez nous,

Le premier rouge-gorge !

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Le Rouge-Gorge
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