Rapsodie du sourd

À Madame D***
L’homme de l’art lui dit : – Fort bien, restons-en là.

Le traitement est fait : vous êtes sourd. Voilà

Comme quoi vous avez l’organe bien perdu. –

Et lui comprit trop bien, n’ayant pas entendu.
– « Eh bien, merci Monsieur, vous qui daignez me rendre

La tête comme un bon cercueil.

Désormais, à crédit, je pourrai tout entendre

Avec un légitime orgueil…
À l’œil – Mais gare à l’œil jaloux, gardant la place

De l’oreille au clou !… – Non – À quoi sert de braver ?

… Si j’ai sifflé trop haut le ridicule en face,

En face, et bassement, il pourra me baver !…
Moi, mannequin muet, à fil banal ! – Demain,

Dans la rue, un ami peut me prendre la main,
En me disant : vieux pot… ou rien, en radouci ;

Et je lui répondrai – Pas mal et vous, merci ! –
Si l’un me corne un mot, j’enrage de l’entendre ;

Si quelqu’autre se tait : serait-ce par pitié ?…

Toujours, comme un rebus, je travaille à surprendre

Un mot de travers… – Non – On m’a donc oublié !
– Ou bien – autre guitare – un officieux être

Dont la lippe me fait le mouvement de paître,

Croit me parler… Et moi je tire, en me rongeant,

Un sourire idiot – d’un air intelligent !
– Bonnet de laine grise enfoncé sur mon âme !

Et – coup de pied de l’âne… Hue ! – Une bonne-femme

Vieille Limonadière, aussi, de la Passion !

Peut venir saliver sa sainte compassion

Dans ma trompe-d’Eustache, à pleins cris, à plein cor,

Sans que je puisse au moins lui marcher sur un cor !
– Bête comme une vierge et fier comme un lépreux,

Je suis là, mais absent… On dit : Est-ce un gâteux,

Poète muselé, hérisson à rebours ?… –

Un haussement d’épaule, et ça veut dire : un sourd.
– Hystérique tourment d’un Tantale acoustique !

Je vois voler des mots que je ne puis happer ;

Gobe-mouche impuissant, mangé par un moustique,

Tête-de-turc gratis où chacun peut taper.
Ô musique céleste : entendre, sur du plâtre,

Gratter un coquillage ! un rasoir, un couteau

Grinçant dans un bouchon !… un couplet de théâtre !

Un os vivant qu’on scie ! un monsieur ! un rondeau !…
– Rien – Je parle sous moi… Des mots qu’à l’air je jette

De chic, et sans savoir si je parle en indou…

Ou peut-être en canard, comme la clarinette

D’un aveugle bouché qui se trompe de trou.
– Va donc, balancier soûl affolé dans ma tête !

Bats en branle ce bon tam-tam, chaudron fêlé

Qui rend la voix de femme ainsi qu’une sonnette,

Qu’un coucou !… quelquefois : un moucheron ailé…
– Va te coucher, mon cœur ! et ne bats plus de l’aile.

Dans la lanterne sourde étouffons la chandelle,

Et tout ce qui vibrait là – je ne sais plus où –

Oubliette où l’on vient de tirer le verrou.
– Soyez muette pour moi, contemplative Idole,

Tous les deux, l’un par l’autre, oubliant la parole,

Vous ne me direz mot : je ne répondrai rien…

Et rien ne pourra dédorer l’entretien.
Le silence est d’or (Saint Jean Chrysostome)

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