Le Cavalier poursuivi

Moi, poète, je vais du couchant à l’aurore.

JULES DE SAINT-FÉLIX.
Und hurré ! hurré ! hop hop hop !

BURGER.

C’est un fort beau cheval : une large poitrine,

Des jambes de gazelle, et dans chaque narine

Une fauve lueur,

La queue échevelée, une crinière folle

Qui se déroule au vent comme une banderole

Sur le col en sueur ;
Des yeux fiers, pleins de vie, ardents comme la braise,

Qu’on prendrait pour deux trous au mur d’une fournaise

Ou pour deux diamants,

Des yeux illuminés d’une lumière rouge

Comme un soleil dans l’eau, qui frissonne et qui bouge

À tous les mouvements ;
Une croupe arrondie où des glands dorés pendent,

Et de souples jarrets dont les muscles se tendent

Comme des arcs d’acier ;

Un ongle plus poli que le jaspe ou l’écaille.

Quel roi dans son haras eut jamais qui te vaille,

Ô mon noble coursier !
Tu danses sur les blés comme une sauterelle,

À chacun de tes pieds est attachée une aile,

Ton galop, c’est un vol,

Et, quand à bonds pressés tu dévores la plaine,

L’oiseau reste en arrière, et l’ombre peut à peine

Te suivre sur le sol.
La bride sur le col, va, marche, à toi l’espace !

Va, lutte de vitesse avec le vent qui passe

Comme avec un rival ;

Va sans crainte ; — le monde est grand, la terre est large,

Le vent est déjà loin, trop de vapeur le charge,

Hurrah ! mon bon cheval !
Hurrah ! des rocs aigus aux tranchantes arêtes,

Fais jaillir en sautant des gerbes de paillettes

Avec ton dur sabot ;

Brise cet horizon qui n’a pas une lieue

Et voudrait t’enfermer dans sa muraille bleue

Comme on fait d’un pied bot.
Chemins rompus, halliers, buissons, ronces, broussailles

Hérissant leurs stylets, entortillant leurs mailles,

Grands fossés à franchir,

Ravins marécageux où le feu follet flambe,

Fondrières, rochers, rien n’entrave ta jambe

Qui ne sait pas fléchir.
Oh ! comme les maisons, comme les arbres filent !

Oh ! comme étrangement sur le ciel ils profilent

Leur contour incertain !

Essor prodigieux, le sol que ton pied foule

Se retire sous toi comme un ruban qu’on roule,

Et tout se fait lointain.
— Vois là-bas, tout là-bas, cette flèche d’église,

Qui pour te regarder lève sa tête grise

Par-dessus l’horizon,

Te montre au doigt, te nargue, et, comme des reproches,

À ton oreille fait tinter ses quatre cloches

Et galoper le son.
Hop ! hop ! mon andalous, mon noir, — plus vite encore !

Une course pareille à celle de Lénore !

Je suis content, c’est bien.

Le clocher tout confus derrière un mont se cache,

L’oiseau qui te suivait à peine au ciel fait tache,

Et je n’entends plus rien.
Mais, quoi donc ! tu faiblis. — Çà ! veux-tu que je teigne

Mes éperons en pourpre à ton flanc brun qui saigne ?

Allons, courage, allons !

Car nous sommes suivis, mon brave, d’un Vampire,

Je sens, tiède à mon dos, le souffle qu’il aspire,

Il est sur nos talons.
Que derrière tes pas cette porte se ferme,

Et nous sommes sauvés. — Nous touchons presque au terme ;

Saute, vole, bondis ! —

Le monstre ne peut rien sur moi dans cette chambre

D’où s’exhale un parfum de fleurs, de femme et d’ambre,

Comme d’un paradis !
N’as-tu pas vu son œil luire à la jalousie ?

Tout mon bonheur est là, toute ma poésie,

Mes souvenirs, ma foi,

Tout, avec mon amour ; c’est ma pâle créole,

Le soleil de mon cœur, mon âme, mon idole,

Ma Béatrix à moi.
C’en est fait, le voilà, mes prières sont vaines;

II m’éteint les regards et m’entr’ouvre les veines

De ses ongles de fer,

Courbe mon dos et met sur ma tête pendante

Une chape de plomb, comme aux damnés du Dante

Dans le neuvième enfer.
Tu cours bien, mon cheval, et ta croupe est fidèle,

Tu dépasses le vent, le son et l’hirondelle ;

Mais il court bien mieux, lui !

Et pourtant ce coureur, ce n’est pas un arabe,

Un anglais de pur sang, — ce n’est qu’un vilain crabe

Aux pieds boiteux, — l’ennui.
1826 – 1832.

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Le Cavalier poursuivi
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