Enfants trouvées

I
Dans les promenades publiques,

Les beaux dimanches, on peut voir

Passer, troupes mélancoliques,

Des petites filles en noir.
De loin, on croit des hirondelles :

Robes sombres et grands cols blancs ;

Et le vent met des frissons d’ailes

Dans les légers camails tremblants.
Mais quand, plus près des écolières,

On les voit se parler tout bas,

On songe aux étroites volières

Où les oiseaux ne chantent pas.
Près d’une sœur, qui les surveille

En dépêchant son chapelet,

Deux par deux, en bonnet de vieille,

Et les mains sous le mantelet,
Les cils baissés, tristes et laides,

Le front ignorant du baiser,

Elles vont voir, pauvres cœurs tièdes,

Les autres enfants s’amuser.
Les petites vont les premières ;

Mais leur regard discipliné

A perdu ses vives lumières

Et son bel azur étonné.
Les pieuses et les savantes

Ont un maintien plus glacial ;

Toutes ont des mains de servantes,

L’œil sournois et l’air trivial.
Car ces êtres sont de la race

Du vice et de la pauvreté,

Qui font les enfances sans grâce

Et les tristesses sans beauté.
II
Les berceaux ont leurs destinées !

Et vous ne les avez pas vus,

Les fronts de mères inclinées

Comme la Vierge sur Jésus.
Vos sombres âmes stupéfaites,

Enfants, ne se rappellent pas

La chambre joyeuse, les fêtes

Du premier cri, du premier pas,
La gambade faite en chemise

Sur le tapis, devant le feu,

La gaîté bruyante et permise,

Et l’aïeule qui gronde un peu.
― Pourtant ce qui vous fait, si jeunes,

Pareilles aux fleurs des prisons,

Ce ne sont ni les rudes jeûnes,

Ni les pénibles oraisons :
Ces graves filles, vos maîtresses,

Vous pouvez leur dire : « Ma sœur ! »

Sans amour tendre ni caresses,

Elles ont du moins la douceur ;
Une de ces vierges chrétiennes

Joint tous les jours, souvenez-vous,

Vos petites mains sous les siennes,

En vous tenant sur ses genoux ;
Et sa voix, bonne et familière,

Vous fait répéter chaque soir

Une belle et longue prière

Qui parle d’amour et d’espoir.
III
Sombres enfants qui, sur ma route,

Allez, le front lourd et baissé,

Je crains que vous n’ayez le doute

Effrayant de votre passé ;
Que dans votre âme obscure, où monte

Le flot des vagues questions,

Vous ne sentiez frémir la honte,

Source des malédictions ;
Et que, par lueurs éphémères,

Votre esprit ne cherche à savoir

Si vraiment sont mortes vos mères,

Pour qu’on vous habille de noir !
― Si ce doute est votre souffrance,

Ah ! que pour toujours le couvent

Dans la plus étroite ignorance

Mure votre cœur tout vivant !
Que par les niaises pratiques

Et les dévotions d’autel,

Par le chant des fades cantiques

Et la lecture du missel,
Par la fatigue du cilice,

Par le chapelet récité,

A ce point votre âme s’emplisse

D’enfantine crédulité,
Que, ployant sous les disciplines

Et mortes avant le cercueil,

Vous vous sentiez bien orphelines

En voyant vos habits de deuil !

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