30 – Force peu a peu me mine

CCLXVIII [=CCLVIII] .
Le Coeur, de soy foiblement resoulu,

Souffroit asses la chatouillant poincture,

Que le traict d’or fraischement esmoulu

Luy avoit fait sans aulcune ouverture.

Mais liberté, sa propre nourriture,

Pour expugner un tel assemblement

D’estre né libre, & faict serf amplement,

Y obvioyt par mainte contremine,

Quand cest Archier, tirant tant simplement,

Monstra,que force en fin, peu a peu, mine.
CCLXIX [=CCLIX] .
De toute Mer tout long, & large espace,

De terre aussi tout tournoyant circuit

Des Montz tout terme en forme haulte, & basse,

Tout lieu distant, du jour & de la nuict,

Tout intervalle, ô qui par trop me nuyt,

Seront rempliz de ta doulce rigueur.

Ainsi passant des Siecles la longueur,

Surmonteras la haulteur des Estoilles

Par ton sainct nom, qui vif en ma langueur

Pourra par tout nager a plaines voiles.
CCLXX [=CCLX] .
Sur fraile boys d’oultrecuydé plaisir

Nageay en Mer de ma joye aspirée,

Par un long temps, & asseuré plaisir

Bien pres du Port de ma paix desirée

Ores fortune envers moy conspirée

M’a esveillé cest orage oultrageux,

Dont le fort vent de l’espoir courageux

Du vouloir d’elle, & du Havre me prive,

Me contraingnant soubz cest air umbrageux

Vaguer en gouffre, on n’y à fons ne ryve.
CCLXXI [=CCLXI] .
Opinion, possible, mal fondée

Fantasia sur moy je ne sçay quoy:

Parquoy accoup l’aigreur m’est redondée

De ses desdaingz, & si ne sçay pourquoy.

Je m’examine, & pense apart tout coy

Si par malice, ou par inadvertance

J’ay rien commis: mais sans point de doubtance

Je trouve bien, que celluy se desayme,

Qui erre en soy par trop grande constance

Mais quelle erreur, sinon que trop il ayme?
CCLXXII [=CCLXII] .
Je vois cherchant les lieux plus solitaires

De desespoir, & d’horreur habitez,

Pour de mes maulx les rendre secretaires,

Maulx de tout bien, certes, desheritez,

Qui de me nuire, & aultruy usitez,

Font encor paour, mesme a la solitude,

Sentant ma vie en telle inquietude,

Que plus fuyant & de nuict, & de jour

Ses beaulx yeulx sainctz, plus loing de servitude

A mon penser sont icy doulx sejour.
CCLXXIII [=] .
Pourquoy fuys ainsi vainement celle,

Qui de mon ame à eu la meilleur part?

Quand, m’esloingnant, tant a moy suis rebelle,

Que de moy fais, & non d’elle, depart.

Soit que je sois en public ou a part,

Ses faictz, ses dictz sont a moy evidentz,

Et en son froict tellement residentz,

Que loing encor, je souffre en leur meslée,

Ou, estant près, par mes souspirs ardentz

J’eschaufferois sa pensée gelée.
CCLXXIIII [=CCLXIIII] .
La Mort pourra m’oster & temps, & heur,

Voire encendrir la mienne arse despouille:

Mais qu’elle face, en fin que je ne vueille

Te desirer, encor que mon feu meure?

Si grand povoir en elle ne demeure.

Tes fiers desdaingz, toute ta froide essence,

Ne feront point, me nyant ta presence,

Qu’en mon penser audacieux ne vive,

Qui, maulgré Mort, & maulgré toute absence,

Te represente a moy trop plus, que vive.
CCLXXV [=CCLXV] .
Tous temps je tumbe entre espoir, & desir:

Tousjors je suis meslé de doubte, & craincte:

Tous lieux me sont ennuy, & desplaisir:

Tout libre faict m’est esclave contraincte,

Tant est ma vie a la presence astraincte

De celle là, qui n’en à point soucy.

Vien, Dame, vien: Asses as esclercy

Ces champs heureux, ou a present sejourne

Ton Orient, & en la Ville icy

Jamais, sans toy, a mes yeulx ne s’ajourne.
CCLXXVI [=CCLXVI] .
De mon cler jour je sens l’Aulbe approcher,

Fuyant la nuict de ma pensée obscure.

Son Crepuscule a ma veue est si cher,

Que d’aultre chose elle n’à ores cure.

Jà son venir a eschauffer procure

Le mortel froit, qui tout me congeloit.

Voyez, mes yeulx, le bien que vous celoit

Sa longue absence en presence tournée:

Repaissez donc, comme le Coeur souloit,

Vous loing privez d’une telle journée.

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