21 – A tous plaisir et a moy peine

CLXXXVI [=CLXXVII] .
Par ta figure, haultz honneurs de Nature,

Tu me feis veoir, mais trop a mon dommage

La gravité en ta droicte stature,

L’honnesteté en ton humain visage,

Le venerable en ton flourissant aage

Donnant a tous mille esbahyssementz

Avec plaisir: a moy nourrissementz

De mes travaulx avec fin larmoyeuse.

Et toutesfoys telz accomplissementz

Rendent tousjours ma peine glorieuse.
CLXXXVII [=CLXXVIII] .
Pour estre l’air tout offusqué de nues

Ne provient point du temps caligineux:

Et veoir icy tenebres continues

N’est procedé d’Automne bruyneux.

Mais pour autant que tes yeulx ruyneux

Ont demoly le fort de tous mes aises

Comme au Faulxbourg les fumantes fornaises

Rendent obscurs les circonvoysins lieux,

Le feu ardent de mes si grandz mesaises

Par mes souspirs obtenebre les Cieulx.
CLXXXVIII [=CLXXIX] .
Amour me presse, & me force de suyvre

Ce, qu’il me jure estre pour mon meilleur.

Et la Raison me dit, que le poursuyvre

Communement est suyvi de malheur.

Celluy desjà, m’esloingnant de douleur,

De toy m’asseure, & ceste me desgouste,

Qui jour & nuict devant les yeulx me boute

Le lieu, l’honneur, & la froide saison.

Dont pour t’oster, & moy, d’un si grand doubte,

Fuyant Amour, je suivray la Raison.
CLXXXIX [=CLXXX] .
Quand pied a pied la Raison je costoye,

Et pas a pas j’observe ses sentiers,

Elle me tourne en une mesme voye

Vers ce, que plus je fuiroys voulentiers.

Mais ses effectz en leur oblique entiers

Tendent tousjours a celle droicte sente,

Qui plusieursfoys du jugement s’absente,

Faignant du miel estre le goust amer:

Puis me contrainct quelque mal, que je sente,

Et vueille, ou non, a mon contraire aymer.
CXC [=CLXXXI] .
Ouy, & non aux Caestes contendantz

Par maintz assaultz alternatifz s’assaillent:

Tous deux a fin de leur gloyre tendantz

En mon cerveau efforcément travaillent.

Et nonobstant, que bien peu, ou rien vaillent

Si longz effortz sans rien determiner,

Si sens je en moy de peu a peu miner

Et la memoyre, & le sens tout confus:

D’ailleurs l’ardeur, comme eulx, ne peult finer:

Ainsi je suis plus mal, qu’oncques ne fus.
CXCI [=CLXXXII] .
Mais si Raison par vraye congnoissance

Admire en toy Graces du Ciel infuses:

Et Graces sont de la Vertu puissance,

Nous transformant plus, que mille Meduses:

Et la Vertu par reigles non confuses

Ne tend sinon a ce juste debvoir,

Qui nous contraint, non seulement de veoir,

Mais d’adorer toute parfection:

Il fauldra donc, que soubz le tien povoir

Ce Monde voyse en admiration.
CXCII [=CLXXXIII] .
Pourquoy reçoy je en moy mille argumentz

Dont ma pensée est ja si entestée?

Veu qu’ilz me font mille noveaux tourmentz

Desquelz mon ame en vain est mal traictée,

M’a [=Ma] face aussi de larmes tempestêe

Tresvainement me monstre estre a mort tainct.

Las ce sainct feu, qui tant au vif m’attainct,

Parqui Amour si fainctement nous rit,

Ne par rigueur, ne par mercy s’estainct:

Celle l’enflamme, & ceste le nourrit.
CXCIII [=CLXXXIIII] .
En tel suspend ou de non, ou d’ouy,

Je veulx soubdain, & plus soubdain je n’ose.

L’un me rend triste, & l’aultre resjouy

Dependant tout de liberté enclose.

Mais si je voy n’y povoir aultre chose,

Je recourray a mon aveugle Juge.

Refrenez donc, mes yeulx, vostre deluge:

Car ce mien feu, maulgré vous, reluira.

Et le laissant a l’extreme refuge,

Me destruisant, en moy se destruira.
CXCIIII [=CLXXXV] .
Le Coeur surpris du froit de ta durté

S’est retiré au fons de sa fortune:

Dont a l’espoir de tes glassons hurté,

Tu verrois cheoir les fueilles une a une.

Et ne trouvant moyen, ny voye aulcune

Pour obvier a ton Novembre froit,

La voulenté se voit en tel destroict,

Que delaissée & du jour, & de l’heure,

Qu’on luy debvroit ayder a son endroit,

Comme l’Année, a sa fin jà labeure.

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