Chauffons-nous, chauffons-nous bien.
BÉRANGER.
Je déteste le monde et je vis dans mon cœur.
ULRIC GUTTINGUER.
Un brouillard épais noie

L’horizon où tournoie

Un nuage blafard,

Et le soleil s’efface,

Pâle comme la face

D’une vieille sans fard ;
La haute cheminée,

Sombre et chaperonnée

D’un tourbillon fumeux,

Comme un mât de navire,

De sa pointe déchire

Le bord du ciel brumeux ;
Sur un ton monotone

La bise hurle et tonne

Dans le corridor noir :

C’est l’hiver, c’est décembre,

Il faut garder la chambre

Du matin jusqu’au soir.
Les fleurs de la gelée

Sur la vitre étoilée

Courent en rameaux blancs,

Et mon chat qui grelotte

Se ramasse en pelote

Près des tisons croulants.
Moi, tout transi, je souffle,

À griller ma pantoufle,

À rougir mes chenets,

Mon feu qui se déploie

Et sur la plaque ondoie

En bleuâtres filets.
Adieu les promenades

Sous les fraîches arcades

Des verdoyants tilleuls,

A travers les prairies,

Les bruyères fleuries

Et les pâles glaïeuls ;
Parmi les plaines blondes

Où le vent roule en ondes

Le seigle déjà mûr,

Par les hautes futaies

Au long des jeunes haies

Et des ruisseaux d’azur !
Adieu les églantines

Et, moissons enfantines,

Les bleuets dans les blés,

Les vertes sauterelles

Et les pissenlits frêles

Sans cesse échevelés !
Adieu dans l’herbe haute

La grenouille qui saute,

Et sous le frais buisson

Le lézard qui regarde

La cigale criarde

Qui sonne sa chanson !
Adieu les demoiselles

Aux diaphanes ailes,

Aux minces corsets d’or,

Le papillon qui brille

Et que la jeune fille

Poursuit comme un trésor ;
Le soir dans la nacelle

Qui penche et qui chancelle

Au moindre souffle d’air,

Les courses d’une lieue

Sur l’immensité bleue

Du lac profond et clair ;
Et puis les danses molles

Et les caresses folles

Sur les prés de velours,

Lorsque la blanche lune

Au sein de la nuit brune

Jette ses demi-jours !
De longtemps l’hirondelle

Ne viendra, de son aile

Effleurant mes carreaux,

Battre la capucine

Dont la pourpre dessine

Un cadre à mes barreaux.
— Pour horizon, la rue

Où la foule se rue

Avec ses mille cris ;

Pour soleil, des lanternes

Qui de leurs reflets ternes

Baignent les pavés gris ;
Pour musique, la bise

Qui se plaint et se brise

Dans les arbres mouillés,

Les rauques girouettes

Qui font des pirouettes

Sur leurs axes rouillés.
Comment sortir ? les roues

S’enfoncent dans les boues

Presque jusqu’à l’essieu.

Du brouillard, de la pluie !

L’âme souffre et s’ennuie :

Quoi donc faire, mon Dieu ?
Nous aimer, ma charmante !

Jette là cette mante

Qui me cache ton cou,

Ta belle épaule blanche,

Ton corsage, ta hanche,

Ton sein dont je suis fou.
Sur mes genoux prends place,

Livre tes mains de glace

À mes baisers de feu,

Et laisse voir ta jambe

À la braise qui flambe,

Qui flambe rouge et bleu.
Vois donc le gaz qui danse

Et s’agite en cadence,

Aux fantasques chansons

Que fredonne la sève

Dans la bûche qui crève

Et retombe en tisons.
Mon bijou, mon idole,

Comme le temps s’envole

Lorsque l’on est ainsi !

La voix haute et profonde

Qu’au loin jette le monde

Ne parvient pas ici.
Nos deux âmes jumelles,

Ensemble ouvrant les ailes,

Planent dans l’infini,

Comme deux alouettes

Ou comme deux fauvettes

Oublieuses du nid.

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