Élégie : Ma charmante…

J’ai peur que votre amour par le temps ne s’efface.
RONSARD.
Aimée, aimée, hélas! que j’ai grand’peur

Qu’un autre amour par cet amour pipeur

N’aille gravant pendant ta longue absence

Quelque autre amant dedans ta souvenance !
PONTUS DE TYARD, Erreurs amoureuses.
Ma charmante, depuis ta visite imprévue

Deux mois se sont passés que je ne t’ai pas vue.

Deux mois entiers ! Sais-tu que c’est bien long, deux mois ;

Assez pour m’oublier ? — J’y songe quelquefois :

Pauvre fou que je suis d’avoir placé mon âme

Dans la tienne, et risqué sur l’amour d’une femme

Ma vie intérieure et mon contentement !

Et je dis à part moi : Peut-être en ce moment,

Pendant que je suis là, triste, m’occupant d’elle

Et lui faisant ces vers, d’un sourire infidèle

Accueille-t-elle un autre, et, tendant cette main

Qu’on ne livrait qu’à moi, lui dit-elle : « À demain ! »

J’ai beau me répéter que c’est une chimère,

Cette pensée est là, sans cesse plus amère,

Empoisonnant ma joie, et, malgré mes efforts,

M’accompagnant partout comme l’ombre le corps.

Car c’est ainsi que vont en ce monde les choses :

Il se fait en un jour bien des métamorphoses ;
L’idole du matin n’est pas celle du soir,

Et toute jeune fille est comme son miroir,

Qui reçoit chaque image et n’en conserve aucune.

— Puis un amour âgé de trois ans importune ;

C’est presque un mariage; un jour, avec l’ennui

Vient la réflexion ; l’amour s’en va. — Celui

Qui jadis à vos yeux était plus que vous-même,

Celui qui le premier vous avait dit: « Je t’aime! »

N’est plus pour vous qu’un nom dont le vain souvenir

Contre un amour nouveau ne peut longtemps tenir ;

Ce nom, qui résonnait naguère à votre oreille

Aussi doux que la voix du rossignol, n’éveille

Au fond de votre cœur, de sa faute confus,

Qu’un sentiment cruel du bonheur qu’il n’a plus ;

Et comme pour deux noms l’âme n’a pas de place,

L’ancien est rejeté. Lettre à lettre il s’efface

Ainsi que le ci-git d’un tombeau sous les pas

De la foule qui chante et ne l’aperçoit pas.

— Le cœur qui n’aime plus a si peu de mémoire !

On rougit de l’amour dont on se faisait gloire,

Le temps coule, et bientôt on arrive à ce point

De dire en le voyant : « Je ne le connais point. »

Qu’y faire ? Ramener son manteau sur sa plaie,

Et sous un rire faux cacher sa douleur vraie,

Dévorer par orgueil les larmes de ses yeux,

Et déchu du bonheur, déshérité des cieux,

Incapable à jamais d’un élan grandiose,

De toute sa hauteur descendre dans la prose,

Comme l’aigle blessé qui, sanglant, sur le sol

Tombe, ne fermant pas la courbe de son vol.

Me défiant de moi, malade de l’absence,

Ne vivant qu’à demi, voilà ce que je pense.

Si tu ne m’aimais plus, oh! ce serait ma mort :

Mais tu m’aimes toujours, n’est-ce pas ? et j’ai tort !
Au lieu de tout cela, sans doute, jeune fille,

Rêveuse, de tes doigts laissant fuir ton aiguille,

Vers le chemin désert tu tournes tes grands yeux,

Et, portant ta main blanche à ton front soucieux,

Tu te dis en toi-même : « Il ne vient pas ! » — tu pleures ;

Pleurer fait tant de bien ! — et, pour tromper tes heures,

Tu relis tous ces vers où je me racontais

Jusqu’au moindre détail, sans fard, — tel que j’étais,

Tel que je ne suis plus et que je voudrais être,

Car je serais heureux ; mais l’homme n’est pas maître

De faire revenir les fraîches passions

De l’enfance du cœur, et ces illusions

Si pénibles à perdre, et si vite perdues.

— L’ange du souvenir, les ailes étendues,

Remontant le passé, voltige autour de toi ;

Il te souffle à l’oreille une phrase de moi,

Un soupir, un serment, quelque mot tendre, et pose

Sur ta lèvre pâlie avec sa lèvre rose

Mes baisers d’autrefois, mes longs baisers d’amant,

Pour te les redonner, gardés fidèlement.

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