John Playne

John

Playne, on peut l’en croire,

Est complètement soûl !

Il n’a cessé de boire

Jusqu’à son dernier sou !
Dam’ ! deux heures de stage

Au fond d’un cabaret,

En faut-il davantage

Pour absorber son prêt ?
Bah ! dans une marée

Il le rattrapera,

Et brute invétérée,

Il recommencera.
D’ailleurs, c’est l’habitude

Des pêcheurs de

Kormer

Ils font un métier rude !…

Allons,

John

Playne, en mer !
Le bateau de

John

Playne

Se grée en étalier

Avec foc et misaine.

Il a nom

Saint-Hélier.
Mais que

John

Playne se dépêche

De retourner à bord !

Les chaloupes de pêche

Sont déjà loin du port !
C’est que la mer est prompte

A descendre à présent !

A peine si l’on compte

Deux heures de jusant !
Donc si

John ne se hâte

De partir au plus tôt,

Et si le temps se gâte

C’est fait de son bateau.
Ciel mauvais et nuit sombre !

Déjà le vent s’abat

Comme un vautour dans l’ombre

John de ses yeux de chat
Regarde et puis s’approche…

Qu’est-ce donc ?

Il entend

Comme un choc sur la roche !

Vingt

Dieux !

Il était temps !
C’est son bateau qui roule

Au risque de remplir,

Et qu’un gros coup de houle

Pourrait bien démolir !
Aussi

John

Playne grogne

Et jure entre ses dents.

C’est toute une besogne

Que de sauter dedans !
Tant pis ! c’est bien sa faute

S’il s’en va par le fond !

Mais

John est brave ! il saute

Et s’embarque d’un bond .
Avant qu’il ne s’équipe,

Non sans quelque hoquet,

Il allume sa pipe

Au feu de son briquet.
Puis alors il se grée,

Car le temps sera froid,

Sa capote cirée,

Ses bottes, son suroît,
Et même il s’enveloppe

D’un vieux plaid en lambeau ;

Puis, prenant son écope,

Il vide son bateauI.
Cela fait, il redresse

Son mât, non sans effort !

Mais

John a de l’adresse,

John

Playne est très fort.
Il pèse sur la drisse

Pour installer son foc.

D’un bras solide il hisse

Sa vieille voile à bloc.  »
Puis il largue u l’amarre

Qu’il ramène à l’avant,

Et la main sur la barre,

Il s’abandonne au vent.
Mais devant le

Calvaire

Quand il passe, je crois,

Que l’ivrogne a dû faire

Le signe de la

Croix.
La baie a deux bons milles

Du port au pied des

Bancs.

Des passes difficiles,

De sinueux rubans !
C’est comme un labyrinthe

Où, même en plein midi,

On ne va pas sans crainte,

Eût-on le cœur hardi.
Mais,

John, c’est son affaire.,

Bras vigoureux, oeil sûr,

Il sait ce qu’il faut faire

Et se dirige sur
Le cap que l’on voit poindre

Au pied du vieux fanal.

Là, le courant est moindre

Qu’à travers le chenal.
John largue sa voilure

Qu’il desserre d’un cran,

Et sous cette autre allure

Laisse porter en grand.
Bon ! le feu de marée

Vient de s’effacer !

C’est

Que

John est à l’entrée

Des passes du

Nord-Est.
Endroit reconnaissable,

Car il est au tournant

De la pointe de sable,

A gauche !…

Et, maintenant,
Qu’il tourne n son écoute

A son taquet de fer…

John est en bonne route,

John

Playne en pleine mer !
En avant, c’est le vide,

Vide farouche et noir !

Et sans l’éclair livide

On n’y pourrait rien voir.
Le vent là-haut fait rage

Mais ne tardera pas,

Sous le poids de l’orage

A se jeter en bas .
En effet, la rafale

Se déchaîne dans l’air

Se rabaisse et s’affale

Presqu’au ras de la mer.
Mais

John a son idée,

C’est de gagner au vent

Rien que d’une bordée

Comme il l’a fait souvent.
Il a toute sa toile
Bien qu’il vente grand frais,
Il a bordé sa voile
Et s’élève au plus près.
C’est miracle, à vrai dire,

S’il ne s’est pas perdu

Mais

John ne fait qu’en rire…

Enfin il est rendu,
Et, bien que la tempête

Soit redoutable alors,

Qu’importe !

John s’entête…

Son chalut est dehors.
Maintenant que sa chaîne

Est raidie et qu’il a

Son filet à la traîne, —

Touti marin sait cela, —
Le bateau va, travaille

Tout seul, sans embarder

Et même sans qu’il faille

Un instant le guider.
Aussi, la tête lourde,

L’ceil à demi louchant

John a saisi sa gourde

Et puis, la débouchant,
Il la porte à sa bouche,

Il la presse, il la tord,

Et, sans forces, se couche

A l’arrière, ivre mort !
Oui ! dort, la panse pleine

De gin et de brandvin !

Ce n’est plus le

John

Playne,

Ce n’est que le

John plein !
A peine quelques nues

Dans le ciel du matin,

Fuyantes et ténues !

Le soleil a bon teint.
Il fera beau ! n’empêche

Que par cet affreux temps

Les chaloupes de pêche

Auront eu leur content !
Qu’importe !

A la rentrée

Nul ne manque !

On a fait

Une bonne marée !

Donc hurrah !

C’est parfait !
Ah ! comme l’on oublie

Le danger qui n’est plus !

Aussi, chacun rallie

La baie avec le flux.
On force et l’on se hâte !

Les voilà bord à bord !

C’est comme une régate

A l’arrivée au port !
Tiens !

Qu’est-ce qui se passe ?

Le premier en avant

Soudain fait volte-face,

Pour revenir au vent !
Les autres en arrière

Manœuvrent tour à tour

De la même manière

Sans songer au retour.
Est-ce que par l’orage

Quelque bateau surpris,

La nuit, a fait naufrage ?

En voit-on les débris ?
Un objet flotte au large

Là-bas !

C’est un devoir,

Ne fut-ce qu’une barque,

Un canot, d’aller voir !
On se hâte !

On arrive..

Un bateau de

Kromer

Est là, seul, qui dérive,

Chaviré, quille en l’air !
Vite ! que l’on se presse !

Il faut hisser d’abord

Le chalut qui ne cesse

De peser sur le bord.
C’est à quoi l’on travaille,

Mais il est tellement

Lourd, qu’il faut maille à maille

Le haler lentement !
Mais enfin, il approche !

A l’aide de palans

Par le fond on le croche…

Un cadavre est dedans !
Et cette épave humaine

Arrachée à la mer,

C’est lui, c’est

John

Playne,

Le pêcheur de

Kromer !
Son bateau, sans nul doute,

A lui-même livré

Pris de travers en route

Sous voile a chaviré.
Ce qui mène à comprendre

Pourquoi, comme un mulet

L’ivrogne s’est fait prendre

Dans son propre filet.
Ah ! quelle horrible vue !

Il est gonflé, ce corps,

Et, malgré tant d’eau bue,

Il semble être ivre encore !
Achevez la besogne,

Pêcheurs, il faut rentrer

Ce misérable ivrogne

Au port, etAA l’enterrer !
Et là, j’aime à le croire,

Vous saurez le mettre où

Il ne pourra plus boire !…

Mais creusez bien le trou !
Ainsi finit

John

Playne,

John

Playne de

Kromer !

Pêcheurs, la mer est pleine

Allons, pêcheurs, en mer !

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John Playne
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