I
… Ces souvenirs chauffent mon sang

Et pénètrent mes moelles…
Je me souviens du village près de l’Escaut,

D’où l’on voyait les grands bateaux

Passer, ainsi qu’un rêve empanaché de vent

Et merveilleux de voiles,

Le soir, en cortège, sous les étoiles.
Je me souviens de la bonne saison ;

Des parlottes, l’été, au seuil de la maison

Et du jardin plein de lumière,

Avec des fleurs, devant, et des étangs, derrière ;

Je me souviens des plus hauts peupliers,

De la volière et de la vigne en espalier

Et des oiseaux, pareils à des flammes solaires.
Je me souviens de l’usine voisine

- Tonnerres et météores

Roulant et ruisselant

De haut en bas, entre ses murs sonores,

Je me souviens des mille bruits brandis,

Des émeutes de vapeur blanche

Qu’on déchaînait, le samedi,

Pour le chômage du dimanche.
Je me souviens des pas sur le trottoir,

En automne, le soir,

Quand, les volets fermés, on écoutait la rue

Mourir :

La lampe à flamme crue

Brûlait et l’on disait le chapelet

Et des prières à n’en plus finir !
Je me souviens du vieux cheval,

De la vieille guimbarde aux couleurs fades,

De ma petite amie et du rival

Dont mes deux poings mataient la fièvre et les bravades.

Je me souviens du passeur d’eau et du maçon,

De la cloche dont j’ai gardé mémoire entière,

Et dont j’entends encore le son ;

Je me souviens du cimetière….
Mes simples vieux parents, ma bonne tante !

- Oh ! les herbes de leur tombeau

Que je voudrais mordre et manger ! -

C’était si doux la vie en abrégé !

C’était si jeune et beau

La vie, avec sa joie et son attente !
J’appris alors quel pays fier était la Flandre !

Et quels hommes, jadis, avaient fixé son sort,

En ces jours de bûchers et de flamme, où la cendre

Que dispersait le vent était celle des morts.
Je sus le nom des vieux martyrs farouches

Et maintes fois, ivre, fervent, pleurant et fou,

En cachette, le soir, j’ai embrassé leur bouche

Orde et rouge, sur l’image à deux sous.
J’aurais voulu souffrir l’excès de leur torture,

Crier ma rage aussi et sangloter vers eux,

Les clairs, les exaltés, les dompteurs d’aventure,

Les arracheurs de foudre aux mains de Philippe Deux.
Ou bien encor, c’étaient les communes splendides,

Les révoltes, roulant sur le pavé de Gand,

Chocs après chocs, leurs ouragans ;

C’étaient les tisserands et les foulons sordides,

Mordant les rois comme des chiens ardents,

Et leur laissant aux mains la trace de leurs dents.
C’étaient de grands remous de vie armée

Qui s’apaisaient dans le soleil,

Quaud les beffrois sonnaient la joie et le réveil

Sur les foules désopprimées.

C’était tout le passé : sang et or, fièvre et feu !

C’était le galop blanc des hautaines victoires

Criant, dans le tumulte et dans l’effroi, leurs voeux,

De l’un à l’autre bout du monde et de l’histoire.
II
Depuis, l’ombre s’est faite sur la Flandre !

Mais mon rêve survit et ne veut point descendre

Des tours, où tant d’orgueil, jadis, le fit monter.

Je regarde de là nos pensives cités ;

J’écoute se taire leur silence ;

Je vois s’ouvrir, comme un faisceau de lances,

L’abside en or des églises, le soir :

Un bruit de cloches, un envol d’encensoir

Là-bas des anges…..

Et la ville s’endort en des louanges.
Je vois aussi, du haut de ces énormes tours,

Les champs, les clos, les bourgs,

Les villages et les prairies,

Autour des larges métairies.

Les vieux pommiers vaillants,

Au temps d’Avril et des sèves nouvelles,

Semblent une troupe d’oiseaux blancs

Laissant traîner leurs ailes

En des vergers pleins de soleil.

Le vent est clair, l’air est vermeil,

L’amour des gars et des femmes superbes

Pousse, comme les fleurs, et se lève de l’herbe,

Robuste et fécondé.

On écoute rire et baguenauder,

Près des mares et des landes,

Les naïves légendes ;

Les vieilles coutumes mêlent encor

Leur beau fil d’or

Au solide tissu des moeurs et des paroles ;

On croit toujours aux sorcières et aux idoles ;

On est crédule et défiant, tout à la fois ;

On est rugueux, profond et lourd, comme les bois

Et sombre et violent, comme la mer brumeuse.
Oh ! l’Océan, là-bas, et sa fête écumeuse

A l’infini, sur les plages, l’hiver !

En ai-je aimé le vent et le désert !

En ai-je aimé la vie, en des barques tragiques,

Qui s’en allaient fouiller les eaux mythologiques

Où les grands dieux du Nord apparaissent encor !

En ai-je aimé les ports, les caps, les baies,

Le môle en bois blanchi que l’ouragan balaie,

Les vieux pêcheurs usés, têtus, tranquilles,

Les pilotes tannés et forts,

Les mousses clairs, les belles filles !
Oh ! l’ai-je aimé éperdument

Ce peuple – aimé jusqu’en ses injustices,

Jusqu’en ses crimes, jusqu’en ses vices !

L’ai-je rêvé fier et rugueux, comme un serment,

Ne sentant rien, sinon que j’étais de sa race,

Que sa tristesse était la mienne et que sa face

Me regardait penser, me regardait vouloir,

Sous la lampe, le soir,

Quand je lisais sa gloire en mes livres de classe !
Aussi, lui ai-je, avec ferveur, voué ces vers

Qui le chantent, dans la grandeur ou l’infortune,

Comme la Flandre abaisse ou lève au long des mers,

Avec ses sables d’or sa guirlande de dunes.

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